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Émilie Zoé
The Very Start – LP
Hummus records 2018

La dernière fois, et l’unique fois, où ces pages ont parlé de Émilie Zoé, c’était à propos d’Autisti. À présent, elle revient seule, ou presque. Le batteur Nicolas Pittet l’accompagne et à eux deux ou plutôt à trois avec le producteur Christian Garcia-Gaucher, le deuxième album d’Émilie Zoé (qui sont ses premiers et seconds prénoms) est né, il se nomme The Very Start, comme un nouveau départ, un second envol. Et il est magnifique.
Des chansons built on stage comme il est précisé sur la pochette gatefold, là où le train de marchandises passe pendant que les deux musiciens imperturbables sont penchés sur leurs affaires personnelles sur un bord de route. Un instant incongru figé dans le temps, un bout de vie qui semble anodin mais qui ressemble tant à cet album où il est question du sens de la vie, du quotidien qui passe inexorablement, de doutes, d’une mélancolie bruyante sur les rails d’un avenir incertain. Des chansons comme autant de vignettes simples, universelles racontées à la première personne, des arrêts sur image d’un moment de vie sur une impression, une émotion qui peut sembler banale mais qui, détachée de son contexte, prend une dimension touchante, une profondeur insoupçonnée, un journal intime qui raconte une histoire plus grande.

The Very Start, c’est avant tout une ambiance, une question de sensation. Intimiste, dépouillée, chaleureuse, minimaliste, à l’électricité grandissante, celle qui rime avec tension. Des morceaux construits pendant les concerts, The Very Start en garde l’âpreté et la spontanéité, un peu moins la folie et l’urgence comme le final génial de Sailor en version live. Pas d’enjolivure, c’est sec et pourtant ça n’assèche pas. Cela peut virer à du velours sans que la douceur devienne envahissante, une sorte de blues lancinant qui vous étreint plus qu’il ne vous caresse, une bienveillance lucide et amère. Aller au principal sans jamais rien céder à la facilité, mettre en valeur les mélodies, enlever tout le superflu, déshabiller les compos et les décorer avec juste ce qu’il faut de tissu pour rendre élégant, prenant, séduisant. Des rythmes racés, en pointillés, concis, quelque chœurs, un piano, des bruitages non-identifiés suffisent pour souligner la force et la sobre beauté des mélodies et le chant d’ Émilie Zoé dont la voix vous désarme en toute simplicité comme son regard bleu grand ouvert. Comme toute musicienne autodidacte, Émilie Zoé avance sur des pieds d’argile. A la manière d’un Young Marble Giants, elle bricole avec talent des morceaux délicatement en mouvement qui ne craignent pas de faire des distorsions et des étincelles, élabore son propre monde, est de la trempe de celle qui tente avec presque rien.
Des morceaux qu’on a envie de reprendre en chœur comme Tiger Song, ce que n’a pas manqué de faire la famille et les ami-e-s d’ Émilie Zoé sur cette émouvante vidéo. Des morceaux qui n’ont pas peur des contrastes comme ce soudain aspirateur qui se met en branle sur The Barren Land qui suivait jusque là un cours tranquille. Des morceaux où le piano prend les commandes et égrène de poignantes notes (Loner).
Dix morceaux essentiels, chacun sa petite musique intérieure, sa personnalité marquée qui vous pénètre et file le frisson. The Very Start, un instantané qui va rester en mémoire, parfaitement lancé sur les rails du bonheur. Sublime.

SKX (30/03/2019)