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Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp
Sauvage Formes – LP
Bongo Joe/Red Wig records 2018

De l'eau a coulé sous les ponts pour l'Orchestre Tout Puissant depuis le deuxième album en 2010. Des milliers de kilomètres, des centaines de concerts et un Rotorotor plus tard, la reconnaissance est là. Large et méritée. Un groupe très attachant qui continue comme si de rien n'était, réalisant un nouvel album tous les quatre ans avec la régularité d'un coucou suisse qui n'est pas, loin s'en faut, la nationalité de tous les membres, bien que Genève soit affiché comme leur point de ralliement.

L'Orchestre Tout Puissant a toujours joué la carte de l'internationale. Musicalement et humainement. Et plus que jamais sur ce nouveau disque avec un orchestre passé de sept à quatorze musiciens. On pourrait croire ainsi que le nom de l'album, Sauvage Formes, vient de cette formation devenue protéiforme, un monstre aux têtes plus nombreuses qu'une hydre, une débauche sonore, une anarchie incontrôlable. Ce n'est pas le cas. Au contraire, l'impression que l'Orchestre a gagné en légèreté et en fluidité. Un comble.
Un percussionniste supplémentaire, deux marimbas au lieu d'un, idem pour la contrebasse et la guitare, des violons, des cuivres, tous les postes quasi doublés voir triplés, quadruplés et on va arrêter de compter en ce qui concerne les chants car tout le monde donne de la voix au final. Sauvage Formes aurait pu sonner comme une formidable foire d'empoigne. C'est un disque très harmonieux, subtil, une transe aérienne où chaque musicien(ne) laisse de la place pour son/sa voisin(e). Sauvage Formes regorge de détails, de finesses veloutées, d'arrangements lumineux toujours mis en boite de main de maître par John Parish. Il est donc une nouvelle fois permis de se laisser aller, emporter par les notes exotiques des marimbas, les rythmes virevoltants, ce groove de plus en plus naturel, coulant. Ou se laisser bercer par de mélancoliques et touchantes compositions, ces moments d'apesanteur qui n'appartiennent qu'à eux, ces chants qui vous soufflent à l'oreille un texte de Jean Dubuffet (Danser Soi Même chanté par le contrebassiste et compositeur en chef Vincent Bertholet, prolongeant ainsi son expérience d'Hyperculte) ou portent en chœur et dans les airs des refrains qui tombent et réchauffent comme une pluie d'été.

En gagnant des membres, l'Orchestre a paradoxalement perdu un brin d'intensité et de folie. Mais la musique est toujours aussi riche, ample et généreuse. L'addition sans la mauvaise surprise de The Ex et Tindersticks, l'Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou qui file grand train dans le spleen des brumes de l'Europe, la poésie dadaïste et un big-band des rues, une symphonie sensuelle, une pop luxuriante et décalée. Et surtout, un talent unique pour continuer à écrire des morceaux qui vous élèvent au-dessus des turpitudes terrestres. Sauvage Formes apprivoisé mais plus que jamais libre.

SKX (26/09/2018)