kenmode
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KEN Mode
Loved – LP
Season Of Mist records 2018

En relisant la biographie des Canadiens, j'avais oublié la signification de KEN Mode. Une expression de Henry Rollins pour décrire l'état d'esprit de Black Flag pendant l'interminable tournée de My War : Kill Everyone Now Mode. Jamais patronyme n'avait aussi bien collé à une musique. Le septième album de KEN Mode a beau s'appeler Loved, il va falloir mériter tout cet amour, être prêt à recevoir une monumentale raclée avant de revoir la lumière. Le trio de Winnipeg est armé jusqu'au dents, remonté comme des pendules pour un combat au corps à corps, totalement opérationnel pour en découdre avec la terre entière avec le même sourire carnassier et le regard qui en dit long de l'avenant croque-mitaine sur la pochette. Le malaise est à ta porte.

Je ne sais pas ce qui leur est arrivé ou ce qui les énerve à ce point mais jamais KEN Mode n'est apparu aussi féroce. Les précédents albums n'avaient pas donné leur part au chien. Pourtant, le constat est là, implacable comme le vide sous les pieds. Tu tombes, dévoré tout cru par Loved de la part d'un groupe qui a une nouvelle fois réussi le tour de force de nous subjuguer comme si c'était la première fois.
Passé des mains d'Albini à celles de Andrew Schneider n'a fait qu'accentuer la brutalité. Le son est comme haché, coupé menu-menu, oppressant, aveugle. Et démoniaque au final. Les compositions ne se soucient plus d'avoir le riff avenant ou de placer une harmonie qui séduit. Loved va à la guerre et pas la fleur au fusil. Entièrement dédié à la suffocation, rouleau-compresseur en marche, concassage de rythmes, rafales de batterie, riffs chalumeau, coups de burin, limite bruitiste, vicieux, obtus. Un vrai délice car agencé de main de maître dans des élans punitifs d'une précision diabolique, ralentissant la cadence au moment opportun pour faire sortir le venin, alourdissant le propos pour magnifier les déflagrations, alternant groove monstrueux et déferlement primaire, cris de bêtes qui n'ont plus rien à perdre et désespoir profond. Tout ça n'est pas nouveau chez KEN Mode mais le trio le fait avec encore plus de violence, d'animalité, de noirceur, avec le sentiment que le monde peut bien s'écrouler après Loved.

KEN Mode continue également d'ouvrir sa musique à d'autres personnes, à de nouvelles expériences. Pour Loved, c'est le saxophone de Kathryn Kerr (qui préfère maintenant grattouiller sa guitare chez Tansy) apparaissant sur une poignée de titres dont le dernier, l'épique No Gentle Art mais aussi This Is A Love Test, tout en montagnes russes et le monumental et sauvage The Illusion Of Safety. Sa présence aura pu être encore plus folle mais contribue tout de même à l'aliénation ambiante.
KEN Mode, de la race des seigneurs, pouvant regarder les yeux dans les yeux des barons du noise-rock/hardcore comme Dazzling Killmen, Today Is The Day, Kiss It Goodbye ou Craw. Loved, car oui, on les aime d'amour et plus rien ne semble pouvoir désormais arrêter ce colossal groupe qui n'en finit pas de sortir des albums essentiels.

SKX (11/10/2018)