sida
moncul
leturcmecanique


Sida
s/t – LP
Et Mon Cul C’est Du Tofu ?/Le Turc Mécanique/Population 2017

C’est pas difficile : la première fois que j’ai vu Sida en concert, je n’ai pas pu faire autrement que de détester ce groupe. Avec au moins autant de violence que celle dont il faisait alors preuve pour étaler son grand n’importe quoi – du moins c’est ce que je pensais. A l’époque Sida était encore un groupe lyonnais (ou plutôt basé sur Lyon), ils n’étaient que trois dedans (Zad Cocar ne débarquera que plus tard, pour s’occuper à plein temps du synthétiseur), ils échangeaient parfois leurs instruments et le micro et non je ne comprenais pas, je n’ai toujours pas compris, comment on pouvait, non pas jouer une telle musique, mais jouer avec un tel état d’esprit, entre infantilisme et odeurs de vinasse, un truc qui ressemblait à pas grand-chose, quelque chose de pas fini. Sans doute me figurais-je que le savoir et l’esprit – précisément – étaient de mon côté, comme le bon goût et quelques autres trucs ayant à voir avec la morale de l’esthétisme, l’éthique musicale et ce genre de saloperies. Je faisais une croix sur Sida, décrétant que le groupe n’en était pas un et que sa musique n’en était pas une non plus. Et contrairement à ce qui est écrit au tout début de cette chronique, c’était vraiment très facile d’agir ainsi. Poubelle.

Mais j’ai revu Sida en concert, plusieurs fois, par hasard, par défaut et à l’insu de mon plein gré. Puis Zad a donc rejoint le groupe qui s’est stabilisé autour d’une formation plus fixée, avec cette fois toujours la même personne au chant (également dans Théorème, on en reparlera peut-être), toujours le même gars à la guitare (qui joue aussi dans Ventre De Biche) – le batteur n’ayant lui jamais été autre chose que le batteur et seul membre de Sida qui dès le début a à peu près tenu la route (aujourd’hui il joue avec Delacave, dans sa version à quatre). Sida est devenu un vrai groupe, c’est ce que j’ai alors pensé, ce que j’ai cru, fermement, et cela doit bien faire rigoler les quatre de Sida dont la façon d’être, l’attitude et la musique ont toujours volontairement échappé – et continuent de le faire – à toutes règles de bienséance, de bon goût (nous y revoilà) et aux codes, nomenclatures et grilles de lecture à tout petits caractères. Cet album sans titre est ainsi le premier de Sida (je vais quand même arrêter de parler des concerts) et le groupe aura mis du temps avant d’en arriver là, avant de sortir un vrai bon gros enregistrement – il en existe quand même quelques autres, des singles, des cassettes… et, surtout, ce qui me frappe vraiment, c’est que le groupe qui a enregistré cet album est presque toujours le même que celui que j’avais décidé de détester il y a quelques années.

Je pourrais dire que chez Sida on a appris à jouer, on a appris à composer, on a appris à maitriser le son du groupe mais tout cela n’a strictement aucune importance, ou si peu : Sida a gardé le même sens du je-m’en-foutisme, de la désinvolture, du bordel, Sida nous gerbe copieusement à la gueule (parce que la chaise électrique ça n’a jamais fait assez mal) et nous dépèce vivants de notre petit confort avec ce qu’il faut de moquerie désespérée. Il n’y a qu’une seule attitude possible face à l’immaturité supposée et tarée de Sida : faire pareil, se délecter de compositions aux titres farfelus (mes préférés sont Tyrolienne Mentale et Aspirateur De Conscience mais il y a aussi Cul ou Javel… tout un programme), des compositions qui détruisent tout ou pas loin et qui virent parfois à la franche réussite (le très psychotique Enterrement De Vie et surtout le tube Tu Es Mort). On pourrait parler de no wave – avec une chouille de garage punk et quelques rares saupoudrages d’effets 80’s – à propos de Sida sauf qu’ici il y a une bonne grosse part d’étrangeté malfaisante en plus – je ne parle pas d’anomalie ni d’invraisemblance parce que cela supposerait un référent/point de comparaison accessible et compréhensible et c’est impossible. Oui Sida échappe à toute logique cohérente, à toute perspective rassurante tout en piochant (évidemment) ça et là des éléments que l’on connait déjà. Je ne peux même pas dire de Sida que le groupe met mal à l’aise ou qu’il dérange. Sida fait juste mal, étrangle sans pitié, comme un acte superbement gratuit, sans fondement, nihiliste, destructeur et désaxé. Pour le plaisir.

Hazam (28/06/2017)