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Oxbow Thin Black Duke LP Hydra Head 2017 C'était écrit dans les gênes d'Oxbow. La suite logique de The Narcotic Story et d'une discographie entamée en 1989. Un album encore plus produit, avec encore plus d'arrangements, de cuivres, de violons, de piano, de velours et de sirop. Les mots maturité, raffinement, perfectionnisme, unique, sublime vont pouvoir fleurir. C'est tapis rouge d'office pour le groupe de San Francisco. Sauf que la vie est un poil plus compliquée que ça camarade. Surtout quand il s'agit d'Oxbow. Quand un groupe se présente trop beau, mon naturel méfiant se tend. Il ne suffit pas d'inclure un orchestre de seize musiciens pour offrir un blanc-seing. Il ne suffit pas de quelques roucoulades pour faire fondre les curs. Il ne suffit pas de faire monter la sauce depuis dix ans, se présenter dans ses habits les plus chics et surprendre son auditoire pour se pâmer devant une telle magnificence. On veut du concret, des compos qui claquent et qui nous retournent. Point barre. Et les morceaux de Thin Black Duke posent question. Je ne participerais donc pas à l'incroyable concert de louanges accompagnant la sortie de Thin Black Duke. Je ne vais pas le dénigrer pour autant. Un jour peut-être le déclic viendra mais en attendant, je reste entre deux eaux. Quand un disque d'Oxbow s'écoute trop facilement en sirotant l'apéro, c'est que quelque chose cloche dans ce bas monde. Quand une multitude d'écoutes n'arrivent toujours pas à vous décider si c'est du lard ou du cochon, c'est qu'un manque existe. Et ce manque, je crois bien que c'est un déficit de tension, cette petite boule de nerf et ce filet d'acidité qui suintaient de The Narcotic Story derrière les arrangements mais qui se fait plus rare sur Thin Black Duke. Impossible de nier l'ambition et la qualité intrinsèque des compos mais elles ont comme préféré la beauté à la tension, le soyeux à la baston. C'est bien sûr à ce moment là que débarque le dernier titre, le bien nommé The Finished Line et que l'envie de recommencer à zéro cette chronique se pointe. Cet ultime titre possède une putain de classe qui fait que, selon le jour, l'humeur ou la force de la lune, c'est tout l'album qui sonne diversement et cette chronique pourrait être l'exact opposé. Les mêmes morceaux peuvent paraître trop léchés, ne touchent pas et le lendemain, vous les prenez en pleine poire et fond vibrer avec éclat votre corde sensible. Oxbow retrouve alors sa niaque, certains riffs de guitare qui vous paraissaient fades retrouvent du poil de la bête et délivrent de superbes mélodies. Alors que le piano se faisait trop présent, il trouve finalement sa place et se fait pertinent dans le dédale de compositions qui n'ont jamais paru aussi accessibles et pourtant si finement tortueuses. Toujours se méfier d'Oxbow. Je crois qu'en fait, je l'aime ce disque. Le titre d'ouverture Cold & Well-Lit Place me passe définitivement au-dessus. Le début de A Gentleman's Gentleman avec sa partie de guitare n'est pas des plus inspirés (mais par contre, quelle fin !) et deux ou trois broutilles/arrangements sont un peu moins heureux. Ce qui fait sans doute déjà trop pour un album d'Oxbow (parce que merde, c'est Oxbow quand même !). Mais vous avez aussi des titres comme l'excellent Host qui frappe juste et plus durement, The Upper commençant comme un titre de Black Heart Procession (ce qui n'est pas du tout un reproche mais ça fait bizarre) avant d'aller dans la flamboyance, Other People bref, tout la face B alors que la face A débute sur des ufs et aussi Letter Of Note qui vont rappellent pourquoi Oxbow est un groupe si spécial et que vous l'appréciez hautement. Une histoire de noirceur prégnante, de folie latente, d'équilibre sur un fil de rasoir et une qualité d'écriture qui, quel que soit l'écrin, finit par s'imposer avec panache, aussi élaborée fût-elle. Et surtout, vous avez le chant d'Eugene Robinson. Avec lui, Oxbow n'aurait jamais eu la même saveur, le même charisme. C'est encore plus vrai sur Thin Black Duke. Eugene Robinson offre une très grande prestation, sublime chaque minute, chaque seconde de l'album, remet la notion de risque au milieu de l'élégance, redonne de l'épaisseur et de l'intensité quand l'orchestre s'emballe et que l'air est trop distingué, transforme l'eau en vin. Comme un acteur à plusieurs voix, il donne vie à ses paroles et il est totalement possédé par elles, décuplant l'impact de chaque mot par des changements de tonalités et de dictions complètement bluffants. Thin Black Duke lui doit beaucoup. Thin Black Duke est donc dans la continuité et totalement surprenant. Il crispe et il est génial. Il montre pour la première fois quelques signes de faiblesse dans la longue vie d'Oxbow mais il vole aussi au-dessus de la mêlée à des hauteurs vertigineuses rarement atteintes par un groupe qui se définit comme rock. Quand Thin Black Duke parle, il ne fait pas mine, il dit beaucoup de choses, avec les mains, les pieds, le cur, le fond des tripes. Il ne laisse pas indifférent, il fait s'interroger, ce n'est pas un long fleuve tranquille, il charrie un lot invraisemblables d'émotions contradictoires. Si au final, ce n'est pas l'album d'Oxbow qui aura ma préférence, il reste incontournable. Oxbow reste Oxbow, un groupe singulier et rare. SKX (18/06/2017) |