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L'Ocelle Mare
Temps en Terre – CD
Murailles Music 2017


Vouloir enregistrer sur disque L'Ocelle Mare, c'est comme vouloir mettre un oiseau en cage ou introduire le dromadaire en Islande, ce n'est pas naturel. Qui a déjà vu en concert Thomas Bonvalet, alias l'homme orchestre derrière le nom L'Ocelle Mare, sait que c'est un spectacle à lui tout seul. Un acte visuel avant tout. Un homme qui se débat avec son attirail d'instruments hétéroclites, un musicien habité qui sait transmettre son émotion à partir d'une musique improbable. Mettre ça en boite, le figer dans le temps et l'espace ne m'avait jamais convaincu. Sur le dernier album en date, Serpentement, un frémissement s'opérait. Cinq ans et de multiples projets/collaborations plus tard dont celui de Powerdove, L'Ocelle Mare revient avec Temps en Terre. Le frémissement devient bouillonnement.
La raison avancée, un enregistrement dans un vrai studio pour la première fois là où tous les précédents disques étaient captés dans des milieux naturels pas faits pour ça à la base (église, grotte, cabane, dans les champs, etc), sauf pour la piste 1 enregistrée avec son téléphone portable. On y entend un piano joué avec un doigt et un gazouillis d'oiseau dans le lointain (la fenêtre était ouverte). L'Ocelle Mare s'est mis en configuration concert et a tout joué et enregistré en temps réel. Le disque gagne ainsi en consistance et en intensité.
Mais la principale raison est ailleurs. Les neuf pistes qui n'ont toujours pas de nom sont surtout plus rythmées et foisonnantes de bruits alors qu'avant, les silences, les pointillés et les non-dits régnaient en maître. Lire la liste des instruments utilisés donne toujours l'impression de regarder un catalogue de Castorama (claves, diapasons, mini amplificateurs, amplificateurs, subwoofer, micros, petite table de mixage, cloches, fragments d'orgue à bouche, concertina, componiums, "stringin it", audio ducker, peau de tambour, moteurs à ressorts) auquel il faut rajouter l'habituel banjo, le métronome et les frappements de pieds et de mains. De tous ces objets détournés de leur cruelle destinée, L'Ocelle Mare en tire une poésie abrupte, une musique concrète qui peut se révéler harmonieuse, les bruits de tous les jours transformés en machine rythmique propice à vous entraîner dans leur mécanique chorégraphie boiteuse, une construction et un empilement de sonorités qui peuvent vriller les tympans comme la fin de la piste 9.
Entendons-nous bien, la musique de L'Ocelle Mare reste singulière, minimaliste et ne figurera jamais dans les classements de fin d'année. Elle accroche cependant plus facilement l'oreille et l'attention comme la piste 2 ou 3, rappelant même le temps de la piste 8 feu-Cheval de Frise, apprivoise ses pulsions animales, devient plus sociable et dessine les contours d'une musique contemporaine de campagne, un electro-folk à la lisière des villes et au charme revêche et grandissant. Voir en concert L'Ocelle Mare est toujours mieux mais il est désormais possible de l'écouter sur disque.

SKX (17/11/2017)