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BNNT
Multiverse – 2xLPs
Instant Classic 2017


BNNT, quatre lettres énigmatiques, quatre lettres polonaises qui avaient laissé une grosse trace de cendres en 2012 avec leur premier album. Le duo de Varsovie revient avec Multiverse. Personnel identique, armes identiques, musique différente. Daniel Szwed et Konrad Smolenski, duo de choc, traitement sonore surprenant et évolutif. Terminés la douzaine de morceaux brièvement expérimentaux et punitifs condensés en une grosse demi-heure. Multiverse ouvre les portes à cinq longues compositions pour plus de cinquante minutes dans les méandres du cerveau de l'écrivain et philosophe roumain Emile Cioran dont Multiverse se veut l'interprétation musicale de ses écrits. Diantre. Les titres sont empruntés à son œuvre comme God Is Nothing More Than an Acoustic Hallucination ou Sickness Begins When One Starts to Think, ce qui n'est pas signe d'une grosse poilade à venir.

Mais ne soyez pas sceptique. Une fois l'effet de surprise passé, Multiverse se révèle une odyssée captivante. A quelques rares exceptions près car je ne peux m'empêcher de trouver quelques menues longueurs, notamment sur God Is Nothing More Than an Acoustic Hallucination. Multiverse est basé sur la répétition, sur des couches sonores qui s'empilent, font monter la tension, créer des ambiances qui grondent, vibrent et finissent par vous choper dans le creux du ventre. Ça ne marche pas parfaitement à tous les coups. Ce quatrième morceau finit par tourner en rond à attendre que quelque chose se passe, ne décolle avant de mourir de sa belle mort tranquille malgré une enveloppe sonore prometteuse et un début d'espoir sur la dernière partie de ces treize longues minutes avec des déflagrations lentes dont l'écho gravement résonnant rentre dans les chairs et agit comme un étau sur les tempes.

Il faut donc un peu de patience, un peu de solitude pour saisir l'humeur de Multiverse. La guitare-missile (littéralement) de Smolenski ne déverse plus des torrents de lave. Elle plane, menaçante souvent, embryonnaire aussi, texture abstraite, drone maléfique prenant possession des chakras pour troubler l'équilibre psychique. A la batterie, Szwed ne sonne plus la charge de la cavalerie. Son jeu trébuche, crépite, s'efface, alterne entre concassage méthodique, lourd, très lourd et rituel tribal. Les compositions rampent, grognent ou cherchent une transe se mettant lentement en place comme un mauvais présage à venir car jamais Multiverse ne donne envie de s'abandonner au joug d'un rythme entraînant. La tension est palpable, le climat sans cesse pesant. Et quand l'invité Mats Gustafsson débarque avec son saxophone sur le titre d'ouverture et de clôture (morceau le plus free, éclaté et bizarre avec comme des respirations très inquiétantes derrière un masque à oxygène), ce n'est pas pour se la jouer complètement débridé en soufflant comme un dingue dans son cuivre. C'est pour rajouter une strate de bruits supplémentaires, un tapis d'ondes aussi étranges que bruyantes et ténébreuses. The Last Illiterate ouvre ainsi l'album de façon magistrale, martiale presque, le cerveau envoûté et pétri de sonorités envahissant l'espace de façon crescendo mais sans vraiment se lâcher complètement non plus. Par contre, quand BNNT décide de passer la vitesse supérieure et de concurrencer le tonnerre, Multiverse devient un album sacrément puissant, une symphonie massive et destructive. La guitare-missile et la batterie à l'unisson écrasent tout, c'est implacablement répétitif et imposant comme toute la fin de Consider a Single Wave Relieved the Pressure on the System qui faisait suite à un début samplé et flippant de vocalises féminines. Je me suis fait tout petit mais je n'ai pas perdu une miette.

Multiverse, nouveau chapitre de la vie originale de BNNT, chapitre qui ne s'aborde pas facilement mais la noire magie et l'incroyable force découlant de cette écriture expérimentale sont indéniables. Et en plus, c'est un superbe objet vinylique.

SKX (18/12/2017)