zëro
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Zëro
San Francisco – LP
Ici D'Ailleurs 2016


Mon histoire avec Zëro n'a jamais été simple. Elle est faite de haut et de bas. D'intérêt prononcé et de déception. Et plus généralement d'une musique qui laissait sur sa faim, de la part d'ex-Deity Guns et Bästard qui nous avaient habitué à tant de fulgurances musicales et d'idées de génie. Le passé a la vie dure. Mais à chaque nouvelle sortie de Zëro, je ne peux m'empêcher de me précipiter sur l'objet en question et le faire tourner sur une platine qui met toujours autant de temps à délivrer les effluves secrètes du groupe de Lyon désormais en trio. François Cuilleron a quitté le groupe, seul numéro de Zëro qui ne pouvait plus réussir à jongler entre groupe, tournées et boulot quotidien. D'ailleurs, en regardant cette pochette de plus près, les trois corps ont perdu leurs têtes mais ont gagné un pied en plus, là, au milieu, une chaussure qui n'appartient à personne. Un oubli trop gros pour être vrai et plutôt à envisager comme un clin d'oeil (du pied) au quatrième membre qui ne fait plus parti de la bande (mais dont on retrouve la guitare sur The Drum Thing enregistré en 2014).

Zëro nous avait laissé avec un très bon Places Where We Go In Dreams, relevant le niveau d'albums précédents en demi-teintes. San Francisco, cinquième album en neuf ans, ne provoque pas de tremblements de terre et représente en quelque sorte la synthèse de toute leur discographie. Il alterne l'excellent et l'honorable, l'enthousiasmant et l'ennui tranquille avec au milieu une surprise qui rend Zëro méconnaissable mais se révélant très plaisant au final, le très pop et guilleret Ich... Ein Groupie, tiré d'un film de 1970 du même nom et dont un extrait sert de vidéo. Zëro n'a jamais caché son amour pour les reprises (ils en avaient même fait un disque plus ou moins officiel en 2010, Minorpieces). Si Ich... Ein Groupie n'est pas une reprise, il suinte d'un doux parfum rétro et d'influences qui ne disent pas leur nom, commandé uniquement par le plaisir, seul maître à bord d'un groupe qui a passé l'âge de se prendre la tête. Un plaisir qui peut les mener à des morceaux réellement prenants comme les nerveux et plus bruyants Boogie Tango Thrill et Cracking (deux compos qui aurait dû se trouver sur la même face, en tout début de deuxième, comme indiqué au dos de la pochette. Une erreur de pressage a mis sur le vinyle Boogie Tango Thrill en fin de face A et Cracking débute la B. L'erreur sera réparée au prochain pressage). Mais l'urgence et l'approche plus rock ne sont pas un gage unique de qualité. Quand Zëro assombrit sa palette et se fait plus lent et menaçant dans l'atmosphère, cela donne de très beaux titres sourdement mélancoliques comme Lac Baïkal et San Francisco. C'est à ce moment là qu'il faut ressortir les qualificatifs d'élégance et de racé, marotte du chroniqueur quand il parle de Zëro. Mais ça leur va si bien au teint.

Une musicalité qui ne fait hélas pas toujours son effet. Cheap Dream Generator et ses claviers en cascade et à un degré moindre Jed/Snowdog qui malgré une ambiance rampante et intéressante a du mal à décoller ne représentent pas des sommets. Je ne suis pas loin de penser la même chose pour The Drum Thing me laissant de marbre. Et puis il y a Last Bills For Lapdance, morceau d'ouverture de plus de sept minutes condensant tout ce qui vient d'être dit. Tous les courants de Zëro en un seul titre. D'un début tout en nervosité grésillante, en tension palpable, guitare en apesanteur, rythmique volontaire, cette composition dévoile des accents pop et se coupe en deux dans une deuxième partie étrange, planante, voir amorphe et un brin trop longue.
Zëro n'a jamais été aussi libre de faire ce qu'il veut, d'aller où bon lui semble piocher dans son immense panier à influences, résumer tout ce qu'il a fait jusqu'ici en continuant à aller de l'avant. La réussite n'est pas toujours au rendez-vous mais San Francisco reste dans l'ensemble un bon cru.

SKX (18/04/2016)