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Ukandanz
Awo – LP
Bigoût/Dur Et Doux 2016

Sur le papier, mais sur le papier seulement, le noiseux réfractaire de base – je parle évidemment de moi – a de quoi être un petit peu méfiant : Ukandanz est une formation qui regroupe des musiciens adeptes du tricotage à douze doigts et qui excellent dans ce que les sacs à merde adeptes du bon goût désignent beaucoup trop rapidement sous le vocable de fusion ethnique. D’un côté nous avons donc le très généreux et très expressif saxophoniste Lionel Martin, le bassiste Benoit Lecomte (du groupe Ni), le batteur Guilhem Mercier (de PoiL), le guitariste Damien Cluzel (Kouma, Polymorphie et dorénavant Pixvae, rien à jeter là dedans) et de l’autre côté il y a Asnake Guebreyes au chant, étoile filante de la scène d’Addis-Abeba, une voix incroyable, un charisme omniprésent – sur scène comme sur disque – et l’âme lumineuse d’un groupe finalement complètement inclassable.

Précédé par l’excellent single Lanchi Biyè/Endè Iyèrusalem (on retrouve ces deux titres ici, mais dans des versions différentes), Awo, deuxième album de Ukandanz, confirme les dernières prestations en date du groupe – depuis deux années en fait, avec le départ du claviériste et l’arrivée salvatrice du bassiste – et surtout le durcissement patent de la musique de Ukandanz (Sèwoch Men Yelalu). Pourtant le principe de base n’a pas beaucoup changé depuis le premier album Yetchalal : il s’agit toujours de reprendre des airs traditionnels et des chansons populaires (d’amour ?) d’Ethiopie, le tout réarrangé par Damien Cluzel qui au passage se permet de glisser dans le lot une ou deux compositions personnelles (mais on n’y voit littéralement que du feu). Si la transe et l’euphorie sont donc de mise, la musique de Ukandanz n’est cependant pas un gadget festif et gentiment coloré. Au contraire, même. Plus que jamais l’un de ses deux éléments fondamentaux est l’électricité, celle qui du côté européen du groupe alimente le rock le plus saignant et le plus furieux et qui fait le plus souvent passer les quelques extravagances techniques des musiciens au second plan. Awo pulse, tourbillonne et enivre, jaillissement permanent, générosité abondante et déploiement d’une envergure passionnée comme passionnelle.

L’autre élément fondamental de la musique de Ukandanz et d’Awo, c’est bien sûr Asnake Guebreyes. L’éthiopien est déjà une très belle langue aux sonorités aussi magnifiques qu’hypnotiques mais le chant de ce petit bonhomme survolté est tout simplement époustouflant, allant de la complainte (Gela Gela) à la fureur majestueuse (Lantchi Biyé) en passant par toutes sortes d’états, entre velours cuivré, charme sûr et certain de lui et lyrisme astral. Et il est très étonnant et finalement réjouissant au plus au point de constater comment, chez Ukandanz, chant et instrumentation s’équilibrent parfaitement, aussi bien en matière d’exaltation que d’incandescence, sans jouer la carte de la compétition du plus gros zizi – ça, c’est justement un des nombreux trucs les plus abominables et les plus exécrables de la « fusion » – mais en jouant au contraire celle de l’épaulement permanent, de l’escalade à deux, une escalade au firmament. Laissez donc tomber vos préjugés : Awo est tout simplement un grand disque de musique, dans le sens le plus noble (et le plus fier) du terme. A noter que la version CD d’Awo paraitra chez Buda Musique/Ethiopiques et que la version digitale est disponible chez Atypeek, le tout avec un titre supplémentaire que l’on peut retrouver par ailleurs grâce au coupon de téléchargement joint avec le LP vinyle.

Hazam (17/01/2016)