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Teho Teardo & Blixa Bargeld
Nerissimo – LP
Specula 2016


25 années plus tôt et la collaboration entre Blixa Bargeld et Teho Teardo aurait été très différente. Pris dans les feux d'un croisement entre Einsturzende Neubauten et Meathead, l'écho de la rencontre aurait formé une déflagration autrement plus violente. Le tumulte du sang s'est désormais apaisé, les années coulent vers une sensation intimiste. Et plus que jamais avec Nerissimo. Teho Teardo & Blixa Bargeld avaient surpris leur monde lors d'un brillant premier album. Nerissimo, The Blackest, le plus noir possible, plonge encore plus profond dans les méandres d'un noir insondable. Album introspectif, album des tréfonds.
Les oripeaux électroniques de Still Smiling s'estompent face aux nombreux violoncelles, violons, une clarinette basse, voir une scie musicale sur The Beast. Cela donne une sérieuse coloration musique de chambre croisée avec une esthétique d'avant-garde indéfinissable, des bruits de signaux électroniques oscillant doucement dans l'arrière-plan et toute une ribambelle d'instruments joués par Bargeld et Teardo comme autant d'épices rares parsemées avec parcimonie et précision. La tension semble s'être évaporé au profit d'un aspect plus doux, l'expérimental effacé face à un aspect plus chanson. Mais c'est de sombre et d'une intense mélancolie que se drape Nerissimo. C'est par une profonde beauté s'insinuant en lenteur comme un brouillard vénéneux que ces morceaux vous séduisent telles des sirènes qui finiront par causer votre perte. DHX2, The Beast, The Empy Boat (reprise d'un morceau datant de 1969 du musicien brésilien Caetano Veloso), Give Me ou le magnifique Nirgendheim, uniquement présent sur le CD et qui aurait dû être aussi sur le vinyle au lieu de remettre en fin de face B le morceau Nerissimo chanté en version italienne et n'apportant strictement aucune sensation nouvelle par rapport à la version en anglais.
Les compositions sont simples d'apparence, dénudées, sensuelles, nobles, portées par la diction impeccable et grave de Bargeld mais elles remuent de l'intérieur grâce à ce sens de la mélodie sobrement poignante et le souci de l'arrangement pointu, pervertissant ce sentiment de sécurité. Et quand le duo retrouve un aspect plus expérimental et abstrait le temps de Ulæ (A Micro-Biological Opera), c'est toujours au service de la compo vibrante et avec un taux de réussite identique.
Sur la pochette, Teho Teardo et Blixa Bargeld prennent exactement la même pose dans un décor identique au tableau Les Ambassadeurs de Hans Holbein le Jeune (1497-1543). Comme pour signifier qu'ils viennent de créer une musique intemporelle, une musique mélangeant un ancien langage et de nouveaux codes qui, par une étrange alchimie, change ainsi le sens de Nerissimo pour signifier en fait le plus lumineux possible.

SKX (01/09/2016)