sumac
thrilljockey


Sumac
What One Becomes – 2xLPs
Thrill Jockey 2016


Ecouter Sumac alors que le thermomètre frôle les 37 degrés, c'est faire preuve d'une inébranlable confiance en soi, l'assurance que la trajectoire cosmique d'un destin inégalable ne déviera jamais d'un iota. Ou que le soleil a tapé vraiment fort et que c'est trop tard. Le deuxième album de Sumac n'a pourtant rien d'un mirage. Encore moins d'une belle musique lumineuse qui va égayer ta journée et réchauffer ta couenne endurcie. C'est coulé dans une dalle de béton au fin fond d'un puisard, la triste et froide réalité que c'est la dernière marche avant l'échafaud. Le soleil ne va pas tarder à se désagréger.
L'album précédent The Deal proposait un contrat assez simple et lisible. La somme des projets précédents de Aaron Turner (Isis et Old Man Gloom pour ne citer qu'eux) avec un gros surplus de violence nihiliste. Avec What One Becomes, le trio pousse les retranchements de la résistance encore plus loin. Le contrat se complique. Et se bonifie. What One Becomes est avant tout une histoire de texture. D'épaisseur. De gros grêlons s'abattant sur le coin de la tronche. D'agression mentale et physique, d'un impact sonore qui réduit en charpie, sans se soucier de faire beau, sans souci de mélodies ou d'harmonies avantageuses, d'accroches brossant dans le sens du poil. Et ce n'est pas Aaron Turner avec son beuglement d'ours des cavernes se réveillant de vingt ans d'hibernation qui dira le contraire. What One Becomes est là pour écraser, piétiner, pulvériser, asphyxier et il le fait consciencieusement bien. On pourra toujours avancer qu'être réduit en bouillie n'est pas un sentiment agréable, qu'on n'y comprend rien, que cette débauche belliqueuse est un rien facile et vaine mais j'aime quand ça fait mal et qu'on y voit le trou du cul du plus sombre des trous noirs. Alors ces riffs monolithiques, ces tombereaux de rythmes dévastateurs, tout le poids et la brutalité du monde, je me les prends de face et avec plaisir, un vrai pénitent sur le Mont Sacrifice.
Et comme l'enveloppe ne fait pas tout, Sumac a aussi amélioré l'architecture intérieure. La sauvagerie et les monstrueux coups de butoir n'excluent pas les passages atmosphériques dont Sumac aime parsemer son tumultueux parcours. Sur les cinq titres à multiples tiroirs dans lesquels il serait possible d'en tailler cinq ou six autres, la balance entre véhémence et plages bruitistes/ambiants trouve un point d'équilibre tout à fait satisfaisant, l'ardeur et la force de l'un répondant très bien au malsain rampant de l'autre sur le thème connu que la respiration ne met que mieux en valeur les bouillonnantes saillies. Sumac passe maître en la matière sans que les grosses ficelles ne se voient et avec des finesses plus nombreuses que l'impression générale laisse à penser. Les compositions gagnent ainsi en consistance là où des longueurs traînaient sur The Deal.
Le problème de Sumac et d'Aaron Turner en particulier, c'est de toujours avoir l'impression que les projets dans lesquels il évolue sont une influence trop voyante de groupes qui avaient déjà tout dit avant lui (Neurosis ou Khanate par exemple). Et qu'on y trouve à couper en quatre ses poils de barbe qu'il a abondante. Sans doute encore plus pour lui que pour d'autres personnages avec qui on est moins regardant. Certes, Sumac n'est pas fait pour les pieds-tendres et les fans de Faith No More, pour ceux qui ont tout vu et tout entendu dans les musiques extrêmes post-revenu-de-tout. Et pourtant, What One Becomes est une belle tranche de vie. Celle qui irradie en noir, exigeante et qui calme les nerfs. Je n'en demandais pas tant. Black hole sun, le vrai.

SKX (19/07/2016)