sourdure
tanzprocesz






Sourdure
La Virée – CD
Astruc/Tansprocesz 2015

Sourdure est le projet solo d’Ernest Bergez, moitié de Kaumwald, excellent duo d’electro minimale dont je vous reparlerai sûrement à l’occasion de la parution de son deuxième album, ce qui ne saurait trop tarder, disons approximativement d’ici avant la fin de l’année (2015). Mais chaque chose en son temps. Jeu de mots à tiroirs, Sourdure est également une appellation (j’allais écrire : « géniale ») extrêmement bien trouvée parce qu’elle peut évoquer plein de choses à la fois et, donc, rien du tout, et surtout pas le contenu insolite et l’optique transversale d’un projet et d’un disque, La Virée, complètement hors du commun. Ernest fait partie de ces musiciens hardis dont le crédo est de bidouiller en direct leur musique au lieu, comme la plupart de leurs congénères faussement consciencieux, de se contenter d’un laptop tout formaté comme vecteur de diffusion. Empruntant à l’acousmatique comme à l’electro, se moquant finalement des étiquettes et des chapelles, Ernest met ici à l’épreuve ses pratiques habituelles de musicien / expérimentateur pour les confronter à quelque chose de bien particulier : la musique folklorique d’Auvergne. Dispositif à bidouilles, samples, boucles, bourdons, violon grinçant et chant nasillard (et parfois bien trafiqué) sont donc les quelques principaux ingrédients du disque, ingrédients auxquels il convient de rajouter quelques interventions de musiciens invités : Clémence Cognet au chant, Èlg à la voix et aux flûtes ou Jacques Puech à la cabrette, par exemple (pour faire vite, la cabrette est un instrument de la même famille que la cornemuse).

Ernest serait donc auvergnat ? Je n’en sais rien mais il habite dans cette belle région et tant pis pour les amateurs de harsh noise que ce nom de Sourdure avait pu allécher : le projet est sur le papier atypique et décalé et La Virée, collection de réinterprétations et réappropriations de vieux airs du pays, est dans les faits l’un des disques parmi les plus étranges, les plus poétiques et les plus captivant publiés ces derniers mois. Et ce n’est pas la peine non plus de fantasmer sur la bourrée paysanne et ses virevoltes dansantes : La Virée est avant tout et la plupart du temps un disque audacieux mais d’une audace tranquille, presque nonchalante, flottante. Marion Dins Dans Son Jardin – malgré son côté bruitiste en sous-main – et Retirez-vous Gens De La Noce sont de loin les deux plages les plus entrainantes de La Virée et donc les plus « folkloriques » (je l’emploie par défaut mais qu’est-ce que je déteste ce terme) or ce sont aussi quasiment les seules. Le disque est traversé en continu par un courant ténu qui incite à une sorte de rêverie voire de contemplation ; je fais même le pari que certaines de ces chansons sauront séduire par le caractère universel de leur sujet – l’amour, évidemment – et par toute la retenue dont Ernest/Sourdure fait alors preuve. Bonsoir Belle Bergère et surtout Pour Aller Voir Virginiec’est toi mon jeune amant à qui je pense si souvent ») ont ce côté émouvant auquel il est bien difficile de résister. Tout comme il est difficile de résister aux subtilités des arrangements et des multiples trouvailles sonores qui éclairent ce beau disque de l’intérieur.

Les dix titres présents sur La Virée sont clairement d’une veine electro-poétique et finement baroufeuse, les environnements sonores flirtent avec l’impermanence – non sans une certaine pointe de nostalgie mais peut-être que là j’extrapole un peu trop, mon grand-père paternel étant lui-même originaire de ce massif central volcanique, reculé et mystérieux pour les petits enfants trop urbains – et renforcent le côté étrange du chant principal à la diction et à la scansion non pas archaïques (Ernest est loin d’être le meilleur chanteur du monde mais là n’est pas le propos et cela n’a aucune importance) mais très marquées : les mots chantés ici le sont le plus souvent dans un patois depuis longtemps oublié ou peut-être encore uniquement parlé par quelques rares aïeuls (Quand Io Zere Chas Ma Maire, délicat et superbe). Et, surtout, le résultat n’a rien d’anecdotique et ne ressemble en aucun cas à un mauvais prétexte ; ces mots d’avant, cette grammaire rugueuse, ces ritournelles presque oubliées, ces airs un peu tristes, ces danses désormais figées, ces rythmes bancals, Ernest a su se les approprier tout en leur donnant des couleurs qui n’appartiennent qu’à lui.

Hazam (03/07/2015)