|
Sister
Iodine Blame LP Premier Sang 2013 Je crois que jai laissé ce disque attendre un peu trop longtemps. Publié par le label Premier Sang comme ses deux prédécesseurs Flame Désastre (2009) et Meth : Live In Tokyo (2010), en collaboration avec Masaya Nakahara aka Violent Onsen Geisha Blame, cinquième album de Sister Iodine, a passé près dun an sans que je lui demande quoi que ce soit ni que je me préoccupe vraiment de lui. Jai pris mon temps pour y venir, croisant parfois Blame dans le tas de disques à (ré)écouter, tas quil rejoignait aussitôt et plutôt en bas de la pile, fondation des envies reportées. Il prenait, malgré tout, beaucoup et de plus en plus de place, cette place que lon réserve aux groupes et aux musiques dont on a décidé il y a longtemps quils seraient importants pour soi. Patience, donc. Cest lorsque les membres de Sister Iodine ont annoncé quils allaient fêter en concert leur vingtième anniversaire les 29, 30 et 31 octobre 2014 en compagnie dune sélection dautres groupes amis et admirés (Opera Mort, Dust Breeders, Junko ou Evil Moisture, parmi tant dautres) que Blame a refait surface. A cela une seule raison : javais lu quelque part que ce vingtième anniversaire était en fait celui du premier album de Sister Iodine, ADN 115, et quau delà de ce prétexte le groupe allait peut-être réessayer de rejouer sur scène quelques titres de ce premier album. Je me rappelle encore dun concert que Sister Iodine avait donné à Lyon à lépoque de ce même ADN 115 ; on pouvait alors reconnaitre les titres du disque interprétés en live, le groupe jouait dune façon préméditée, prenant parfois la pause pendant les cassures et silences fracturant ses compositions. Cétait déjà comment dire impressionnant et barré, complètement influencé par la no wave new-yorkaise et, je le comprendrai plus tard, la musique de Sister Iodine reprenait surtout des codes préexistants tout en tentant de les exalter. Cest, je crois, le point de départ du malentendu qui a perduré ensuite entre Sister Iodine et une partie dun public dinitiés au sujet de la musique du groupe : on peut reprocher ce que lon veut à Sister Iodine mais une chose est sûre, cest que le groupe na jamais capitalisé sur ce premier album, il na pas tenté de réitérer les intentions réussies dADN 115, de les user jusquà la corde pour en faire une tambouille à succès ; il est allé voir plus loin quitte à se planter, à être décevant , il sest séparé, sest reformé, sest constamment réinventé, y compris en entité électronique (avec Discom, side-project dErik Minkkinen et de Lionel Fernandez), il a testé dautres formules (Antilles, cest-à-dire les deux mêmes plus Jérôme Lorichon de The Berg Sans Nipple à la batterie/percussions) pour finalement se fondre, durablement, dans le rôle, assez flou mais bien réel, dune entité bruitiste. Comme pour Mesa Of The Lost Women et quelques autres, évoquer le nom de Sister Iodine suffit : on sait que lon va pouvoir être confronté à une tempête sonore, magmatique, souvent terrifiante, cathartique parfois ; que cette musique est un tout mais que ce tout là nest pas réellement délimité dans lespace et dans le temps. Improvisée, libre, incontrôlable, dévoreuse, passionnante, inquiétante, rampante, illuminée, absolue, sans concession, explosive, exempte de toute sagesse, dérangeante, enveloppante, inconfortable, insondable, sculpturale, animale, froide : la musique de Sister Iodine nous offre surtout tous les paradoxes vivants dun acte libératoire contre laliénation des formes et des figures. Il y a de la terreur là-dedans, de cette terreur quenfant on ressent face à linconnu du vivant, puis quadulte on ressent également, mais différemment, parce quon pense alors avoir le choix et quon ne sait pas quoi en faire. Sister Iodine est tout ça, une forme de remise en question musicale (et ontologique), une expérience sensorielle qui se fout de la beauté mais finit par la retrouver quand même, dans cette quête dabsolu et dirrémédiable. Tout cela, Blame me la confirmé une fois de plus, le jour où je me suis réellement décidé à écouter ce disque je le savais déjà, jen étais même plus que certain et je ne culpabilise donc pas totalement davoir attendu avant de découvrir Blame pour de vrai ; je regrette seulement, fugitivement, quil ny ait pas plus de disques de sa trempe et jai juste trop perdu mon temps à donner leur chance à dautres. Hazam (08/01/2015) |