202Morningside
dullest









202 Morningside
s/t – Cassette
Dullest records 2015

C'est le genre de musique qui vous tombe sur le coin de la tronche par surprise et ne vous quitte plus. Pourtant, seulement six malheureuses chansons figurent au générique, ça n'atteint même pas les vingt minutes et c'est publié sur un support de malheur, une vulgaire cassette, un truc d'un autre âge qui ne veut pas mourir. Mais l'artwork de la jaquette signé Ronan Scoarnec est superbe et surtout, ces six malheureuses chansons lèchent les flammes de l'enfer.
Pour les attiser, Eugene S. Robinson, l'infatigable chanteur d'Oxbow et JP Marsal, le Stéphanois derrière 202project. Une collaboration franco-américaine qui remonte à 2012, des morceaux bouclés définitivement à l'été 2013 et depuis, dans l'attente qu'un label se réveille et s'aperçoive qu'une perle noire ne demandait qu'à briller au grand jour. 202 Morningside. C'est bien plus que la rencontre des deux univers sonores des deux protagonistes. C'est une alchimie mystérieuse générant une perception nouvelle, deux corps étrangers à des milliers de kilomètres qui parlent d'une seule voix, s'imprègnent l'un de l'autre, interaction de fils invisibles tissant un piège envoûtant dans lequel tu viens t'abandonner, plus-value dont le tout est plus beau que la somme des parties. La campagne est blonde mais cette ombre, ce malaise insidieux se glissant dans les méandres de compositions épurées provoque immédiatement des nœuds dans l'estomac.
La musique composée par JP Marsal tient sur un fil, sur une fine et grinçante mélodie de guitare électrisante, son esthétique habituelle new-wave/post-punk transcendé par une vibration plus lourde, plus sombre, plus dure, une pulsion urbaine suintant le trouble, une basse profonde, un synthé douloureusement glaçant, des arpèges douloureusement beaux (Drug Burn) ou une boite à rythmes douloureusement dansante à l'instar du tube Stalingrad. We are so in love. L'art d'installer une tension sourde et un climat d'anxiété avec un minimum d'effets et un maximum d'espace, laissant ainsi toute la place nécessaire pour la voix de Eugene S. Robinson. Et encore une fois, le beau Eugene sort le grand jeu mais différemment de ses autres collaborations avec Xiu Xiu ou Zu. Pas de pleurs et de jérémiades, plus sobre, avec de vrais lignes de chants mélodiques et poignantes, l'art de la retenue, d'insuffler de la fragilité dans un chant qui ne demande qu'à gronder. Et quand il prend sa grosse voix d'Eugene qui va t'en coller une et qu'il avance menaçant, c'est encore plus prenant comme sur les saisissants The Wintering et Lobby.
Il est toujours difficile d'expliquer pourquoi une musique vous prend subitement aux tripes et qu'elle vous retourne les sens, difficile de savoir à quelle corde sensible nichée au fond de votre vieille carcasse elle s'adresse, la faisant vibrer comme une expérience inédite teintée d'un lancinant ressentiment qu'après ça, tout va empirer et se désagréger, mais en attendant, cette musique est foutrement belle et totalement sublime. La consécration ultime serait désormais de voir ces morceaux gravés sur un vinyle. Et que JP Marsal et Eugene S. Robinson donnent une suite à leur collaboration.

SKX (13/03/2015)