meccanormal
mladys
|
Mecca
Normal
Empathy for the Evil LP
M'Lady's 2014
Huit ans
que Mecca Normal n'avait pas publié de disque. Mais au moins vingt
ans que je n'avais pas écouté le duo canadien. Depuis la
période K records avec les albums Dovetail et Flood Plain.
1992 et 1993. Une éternité. Le désintérêt
progressif. L'oubli incompréhensible, noyé dans le flot
irrépressible des sorties que Empathy for the Evil va brillamment
se charger de remettre dans le droit chemin, tout en haut de la pile.
Bref rappel historique à l'intention des plus jeunes et des mécréants.
Mecca Normal, duo de Vancouver avec uniquement une chanteuse et un guitariste,
Jean Smith et David Lester, dont le premier album remonte à 1986.
Formule dépouillée qui n'a pas peur du vide, remplissant
l'espace à la seule force de mélodies simples et profondes
et une voix déclamant sa poésie engagée avec un chant-parlé
intense et expressif.
Avec ce dixième album, la formule de base s'est tout de même
enrichie. Kramer, connu pour ses groupes Bongwater ou Dogbowl, pour avoir
joué sur les tournées des Buttholes Surfers, Half Japanese
ou avec John Zorn, fondateur du label Shimmy-Disc et surtout producteur
de très nombreux groupes (Galaxie 500, Will Oldham, Daniel Johnston,
etc...) joue le troisième larron d'importance. Il a non seulement
produit, mixé et masterisé Empathy for the Evil mais
il tient également la basse (discrète) sur tous les titres,
de l'orgue sur quatre autres ainsi que du vibraphone et du mellotron.
Quant à Jean Smith, elle ne se contente pas seulement de chanter.
Elle souffle dans un saxo sur What's Your Name ?, joue du piano
sur trois morceaux et même de la guitare sur Naked and Ticklish
(en plus de la peinture servant de pochette comme pour tous les albums
de Mecca Normal). Par contre, David Lester fait de la guitare et uniquement
de la guitare.
Cette énumération peut paraître fastidieuse. Elle
souligne dans un premier temps la surprise, moi qui était resté
dans l'idée d'un Mecca Normal aride et à l'économie
et surtout l'évolution d'un duo vers une ouverture qui lui permet
d'étoffer ses sensibilités et diversifier les ambiances
sans renier son postulat de base car l'esthétique général
reste tout de même minimaliste. Et plus poignante que jamais.
Le jeu de guitare de David Lester s'est calmé. Les dissonances
et les à-coups de ses six cordes laissent place à des arpèges
et des accords somptueux qui coulent dans des mélodies empruntes
de mélancolie, le reste de l'instrumentation servant d'habillage
pour envelopper le duo d'une aura fluide. En contrepoint, la voix nasillarde
de Jean Smith, riott girrrl avant les riot girrrls, continue le combat,
étire son phrasé sur tout ce qui la met en rogne, fait claquer
les mots comme un instrument dans une complicité parfaite et tellement
ancienne avec la guitare.
Et surtout, près de trente ans après leurs débuts,
Mecca Normal affiche un niveau d'écriture remarquable. Ce nouveau
visage plus apaisé mais pas dénué d'une nervosité
et d'une tension interne dévoile neuf morceaux à la fois
âpres et hypnotisants. A commencer par les dix minutes de Between
Livermore and Tracy. Le morceau que j'ai le plus écouté
ces six derniers mois. Et pour les six prochains. J'ai même eu du
mal à aller au-delà de cette composition sur un album qui
en regorge pourtant d'autres très touchantes. Mais ce titre possède
un souffle qui fait décoller du sol. Une longue complainte envoûtante,
légère, puissamment onirique, profondément belle
et triste, répétitive, avançant comme un mirage,
soutenu par un orgue et qu'on voudrait qu'elle ne s'arrête jamais.
Un morceau à part dans leur discographie. Et d'autres titres qui
laissent songeur, éclairés par des arpèges lumineux,
Empathy for the Evil en compte plusieurs comme le fabuleux Wasn't
Said, Maisy's Death ou Odele's Bath. Des morceaux
aux sujets graves. Il n'est pas obligé de les comprendre pour se
laisser emporter dans des mélodies désarmantes et une simplicité
singulière qui noue les tripes.
Mecca Normal a toujours été un groupe à part, un
groupe qui n'a jamais été à la mode, un binome de
rien du tout qui avec une guitare, un chant et trois fois rien renverse
des montagnes. Il le prouve encore une fois avec cet album intemporel
et sublime.
SKX (10/02/2015)
|
|