kenmode
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KEN Mode
Success - LP
Season of Mist 2015

Succès, à la poursuite du, s'échapper du poids de la routine et des contingences modernes, des craintes d'un lendemain encore pire, revêtir bravement l'uniforme, boutonner, serrer fort, qu'au moins tout soit net et impeccable vu de dehors.
La quête ultime de KEN Mode, c'est la chanson noise-rock parfaite. Celle qui te fait oublier toutes les bassesses en trois minutes et décoller vers l'infini. Avec ce sixième album, il se pourrait bien que le trio canadien ait atteint son Graal. On se dit ça à chaque nouvel album de KEN Mode mais là, les frangins Jesse et Shane Matthewson avec Scott Hamilton, le cinquième bassiste de l'histoire du groupe, se sont surpassés. Ils se sont payés Steve Albini venu faire un tour dans un studio à Winnipeg. Le choc entre le talent hors-pair de compositeurs de KEN Mode et le son de titan taillé par Albini provoque un monumental tsunami auditif dont on n'est pas prêt de s'en remettre.
J'ai beau chercher la petite bête, je ne trouve strictement rien à redire à Success. Vogue sur et bien au-delà. Ken Mode prouve une nouvelle fois de plus qu'il emmène son noise-rock là où il veut, quand il veut, il en maîtrise toutes les facettes, tous les courants en rajoutant – comme si c'était encore possible vu la qualité de leurs albums précédents – une couche de folie supplémentaire, un vent de virtuosité qui te fait passionnément aimer chaque seconde de ce disque. Et la folie, elle est présente dès le premier titre, un Blessed d'anthologie avec le dingue au milieu des dingues, Eugene S. Robinson qui a dû trouver en KEN Mode de quoi satisfaire son instinct animal pour les groupes qui ne font pas un bruit tiède, comme son cher Oxbow, et pousser des cris de bêtes se fracassant contre le son d'une guitare qui découpe l'acier grâce à une pédale dont tout l'effet est dans le nom (Fuzzrocious), les stridences du violoncelle de Natanielle Felicitas et une surcouche de bruits électroniques par Dylan Walker.
Non, ce groupe n'est pas tiède, son noise-rock non plus et Blessed ouvre le champ d'un tas de possibilités que KEN Mode va merveilleusement occuper. Avec Albini derrière la console et un son plus sec et tendu, KEN Mode opère même un virage encore plus prononcée vers les territoires de Craw, Dazzling Killmen (notamment au milieu de A Passive Disaster et sa ligne de basse qui tourne comme une hache au-dessus de nos têtes ne demandant qu'à être dégommées), Jesus Lizard (The Owl), laissant le coté plus hardcore à la Botch de Entrench. Duel de chant sur These Tight Jeans entre l'invitée Jill Clapham et le chant toujours aussi hargneux et caustique de Jesse Matthewson, incendie généralisée sur la bombe I Just Like Fire avec sa guitare trépidante, surplus d'agressivité sur l'impressionnant Failing At Fun Since 1981, riffs étincelants, parties rythmiques affolantes, pics mélodiques qui tombent de nulle part, il faut attendre les six bonnes minutes du dernier titre (Dead Actors) pour voir KEN Mode se calmer un peu, mettre sa tension en mode souterrain et se faire rencontrer Rapeman et Bitch Magnet dans un moule dont ils ont le secret. Car on sait d'où vient KEN Mode, les influences sont là mais la différence, c'est que ces mecs sont doués pour torcher des morceaux grandioses, des morceaux qui font toujours passer le frisson, des morceaux qui te prennent tout de suite et ne te lâchent plus, comme dans un grand train de tradition qui ne s'arrête jamais et qui fait les classiques. Succès total.

SKX (15/06/2015)