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Dead
Neanderthals Prime LP Gaffer records 2014 Quest ce que je racontais déjà lautre fois comme conneries au sujet du « progrès musical » et de la marche en avant en matière de créativité ? Ah oui aujourdhui, en 2015 mais ça dure déjà depuis de nombreuses années , personne ne peut réellement se vanter de faire avancer tout le bousin dans le sens de linnovation et de la nouveauté. Il y a certes des musiques qui, par leur nature même, pourraient laisser un peu plus de place à la relecture et à lillusion de loriginalité mais il y a surtout pléthore de styles musicaux plus codés les uns que les autres et donc encore plus sclérosés que la moyenne (au hasard : le metal et tous ses dérivés). Mais, encore une fois, tout ceci nest quun faux débat. Je mexplique : à lheure où des hordes de petits rigolos barbus et tatoués prétendent quil suffit de rajouter une tonne de reverb dégueulasse à une mixture indigeste de cold wave et de garage pour faire croire aux mongoliens du net quils ont inventé quelque chose alors quau pays des bisounours en chemises à carreaux tout le monde fait ça ou presque , il y a précisément des musiques pour lesquelles personnes ne veut que ça change. Le metal déjà cité par exemple, avec ses nombreuses niches et sous-niches, qui arrive à faire déplacer des hordes de gros bufs amateurs de fêtes foraines cuméniques et qui ne désirent quune chose : écouter la même musique que papa et tonton. Idem pour le noise rock. Et pour le hardcore. Mais pas seulement. Mon papa à moi na jamais écouté de free jazz. Mon tonton non plus. Je pense même que ces deux là ne soupçonnaient même pas lexistence dune telle chose. Il nempêche que moi jen suis particulièrement friand tout comme je suis friand de ces quelques groupes actuels qui recyclent le free jazz libertaire des années soixante et soixante-dix (mais qui malheureusement délaissent trop la dimension politique du merdier, mais ça cest déjà un autre débat, hein, il faut relire Free Jazz Black Power de Philippe Carles et Jean-Louis Comolli, ça fait pas de mal). Bref, voilà une musique de sauvages et de terroristes que papa et maman auraient très bien pu écouter super fort dans leur salon quand jétais tout petit, jusquà me traumatiser et men dégouter définitivement. Ce qui ne fut pas le cas. Mais, maintenant que je tente désespérément dêtre grand, cest à mon tour de pouvoir écouter ce genre de saloperies et de terroriser atrocement mes propres enfants. Or il y a quelque chose de remarquable dans la façon que peuvent avoir les gosses découter du son, pour peu quon ait pris la peine de leur expliquer que la musique ce nest pas un truc secondaire qui sert à agrémenter un film à la con, un jeu vidéo saignant ou un ascenseur de centre commercial : que le disque et la musique quon leur inflige soient récents ou non, quil sagisse dun truc qui à lépoque a changé des vies ou que ce soit une redite plus ou mois inventive, ils écoutent ça avec les mêmes oreilles. Et, avant toute analyse et sans avoir connaissance de quelque information que ce soit, il ny a quun seul critère qui rentre en ligne de compte dans cette écoute là : jaime ou jaime pas. Et bien faisons pareil, bordel de merde. Je ne parle pas de ces saloperies de réseaux sociaux du net où, dès quun olibrius nostalgique poste le titre préféré de son groupe fétiche de quand il avait quinze ans ou dès quun autre poste le titre dun groupe récent qui imite son groupe favori de quand il en avait dix-huit, tout le monde se met à liker sans même écouter le titre en question, soit parce quon connait déjà plus ou moins le dit groupe et quil a lair trop cool, soit parce quon aime bien la personne qui a posté le lien et quon veut lui faire plaisir sans trop se fatiguer, les amitiés internet tiennent vraiment à très peu de choses. Non je veux parler dune vraie écoute et quimporte le support de diffusion, dématérialisé ou en dur, ce nest pas le débat cest-à-dire quil sagit de poser son cul et de faire attention à la musique. Se laisser convaincre, ou pas. Se laisser charmer, ou pas. Se laisser emporter, ou pas. Tomber amoureux, ou pas. Voilà. Tout dans la gueule et tout dans le cur. Pour en revenir au free jazz, et bien que cette désignation regroupe elle aussi quantité de chapelles (y compris des trucs trop cérébraux que je naime pas), voilà une musique qui précisément ma toujours semblé propice à une écoute épidermique et instinctive. John Coltrane sest attelé sur les dernières années de sa vie à désapprendre tout ce quil savait sur la musique et entre 1960 et 1967 il a ainsi régulièrement réinterprété My Favourite Things, proposant de cette splendide guimauve tirée de la comédie musicale La Mélodie Du Bonheur des versions de plus en plus longues et de plus en plus délirantes, de nombreux enregistrements en concert en attestent aujourdhui Pour le musicien comme pour celui qui écoute, le free jazz se doit de demeurer surtout une musique dinstinct, et, je le répète, voilà une musique qui nécessite à la fois une véritable attention ET un abandon total Le free jazz et limprovisation spontanée sont une (re)découverte permanente, avec ce sentiment dexaltation fébrile et dans le cas qui nous occupe furieuse que sans exagérer jassocie à toutes ces expériences de la vie qui font delle ce quelle est (aimer, haïr, gueuler sa race, faire lamour, se battre, défendre, détruire, construire, chialer, rire ). Mais, comme tout ceci est censé être une chronique de disque, parlons donc un peu du « cas qui vous préoccupe » Les Dead Neanderthals sont un duo hollandais (Otto Kokke au saxophone baryton et Rene Aquarius à la batterie), à juste titre autoproclamé New Wave of Dutch Heavy Jazz et qui sassocie régulièrement avec le formidable saxophoniste anglais Colin Webster (également au baryton sur ce disque). Prime est une pièce dune quarantaine de minutes, un flot ininterrompu dattaques sonores, de hurlements animaliers, de chaos rythmique, dacharnement exalté. Tout ça sans fioritures. Un simple coup de caisse claire en guise dintro ; un coup de gong retentissant en guise de porte de sortie, quarante minute plus tard. Entre les deux Prime donne limpression dun train à très grande vitesse qui traverse à toute blinde une verdoyante compagne. Comme un éclair de lumière aveuglante. Le claquement dun coup de fouet qui fait trembler latmosphère. Ici, pas dexposition de thème. Pas de chorus. Pas de solo de la part des trois musiciens. Pas de structures apparentes si ce nest celle dun long continuum, toujours dans le tellurisme et à la limite du bruitisme. Prime est ainsi (et a posteriori) un nouveau chainon manquant entre Albert Ayler et les débuts de Borbetomagus. Soit un cousin pas très éloigné du Machine Gun de Peter Brotzmann. Rien que ça And It Ended, précédent disque des Dead Neanderthals avec Colin Webster, marquait déjà quelques précieux points de vie en matière de freeture en pleine ébullition mais avec Prime le trio découvre la fulgurance et la transcendance. Et la beauté cachée, juste derrière toute cette débauche de puissance et toute cette fureur. Hazam (04/06/2015) |