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idiosyncratics






Monno
Cheval Ouvert – CD
Idiosyncratics 2013

Cheval Ouvert : un corps démembré, des tripes gluantes et puantes à l’air libre, des humeurs noirâtres qui s’en échappent, des larmes de douleur, des cris insupportables, un poison humain injectable, le soleil qui n’arrive même plus à aveugler… Cheval Ouvert est le nom donné au nouvel et quatrième album des suisses de Monno (quatrième, si on excepte un CDr publié en 2004 par Sound Implant, le propre label du groupe). Et ce nouvel album, publié lui fin 2013 dans la discrétion la plus absolue, je ne l’attendais pas du tout. Il est sorti cinq années après Ghosts, un disque puissamment sombre qui avait pourtant valu à Monno un peu plus de reconnaissance que d’habitude, via feu Conspiracy records, label très référencé s’il en est. Mais j’aime croire aussi que le groupe préfère rester en retrait. Seul Antoine Chessex (ici aux saxophones amplifiés et déformés) donne de temps à autre quelques nouvelles parce qu’il mène de front un très intéressant parcours de compositeur. Mais c’est tout. Monno semble donc aussi mystérieux – fuyant ? – que sa musique est apocalyptique et jusqu’au-boutiste… Un « secret » terriblement et passionnément dangereux : avec Cheval Ouvert les quatre musiciens réussissent haut la main à concilier freeture et doom, harsh noise et hardcore, indus tribal et grind, j’en passe et des meilleurs. Le chaudron magique. Si tu y plonges la tête, tu meurs. Mais tu ne pourras pas résister, faire autrement que de te noyer dans l’ouragan übersonique, viscéral, tripal et – malgré maintes manipulations sonores – organique du disque. En simplifiant un peu on peut dire aussi que Cheval Ouvert retrouve la fulgurance destructrice de l’album Error (2006, déjà publié chez Conspiracy), tout en perpétuant la noirceur inexorable de Ghosts. On ne pouvait donc rêver à rien de mieux pour un retour.
Ce qui frappe d’emblée sur Cheval Ouvert c’est le grain particulier de la musique : un grain épais, incandescent et maléfique voire malsain. Avec cet album, Monno exacerbe ses pulsions musicales déviantes tout en revisitant les musiques extrêmes – le groupe réussit même à exploser ses éventuelles références et à les faire revivre sous une autre forme, multiple et… plutôt personnelle. Les quatre (longues) compositions de Cheval Ouvert peuvent être comparées à presque autant de tableaux sonores dans lesquels Monno expose les différentes facettes d’une seule et même vision musicale globale, laquelle s’apparente à un long continuum bruitiste – quelque chose comme un calvaire structuré ou plutôt balisé par quelques repères, principalement rythmiques mais pas seulement. Une vision qui atteint son paroxysme sur la quatrième et dernière plage du disque, en forme d’épiphanie démentielle. La monstruosité à son sommet. Cheval Ouvert a été enregistré par Roli Mosimann – pour mémoire : ex-batteur des Swans, camarade de jeu de JG Thirlwell au sein de Wiseblood et surtout l’homme qui a permis aux Young Gods de se transcender sur leurs premiers disques, un vétéran quoi – mais l’identité sonore de Monno est surtout le fait de quatre musiciens. On a déjà mentionné Antoine Chessex de la part duquel on serait bien en mal d’espérer une seule note de saxophone puisque il se sert avant tout de son instrument comme d’un générateur de fréquences ou comme vecteur d’électricité saturée (cf Borbetomagus) ; Gilles Aubry est l’autre magicien de Monno : avec son ordinateur et ses dispositifs il crée des textures, des flux et des accidents qui nous projettent dans un au-delà déchainé mais cohérent, donnant au groupe son côté power electronics et glacial tout en s’abstenant de ralentir le flux sanguin et la débauche carnée qui se dégagent en même temps de cette musique ; le bassiste Derek Shirley est celui qui pourrait systématiquement nous ramener les pieds sur terre (même si celle-ci est en feu) or son jeu est bien plus qu’un appel à l’équilibre, naviguant entre profondeurs telluriques et équarrissage rythmique ; la batterie de Marc Fantini suit elle le même chemin et voilà un musicien dont l’épaisseur polyrythmique et la détermination dépassent également l’entendement.
C’est évident, il n’y a pas beaucoup de musiques aussi éclatées, aussi chaotiques, aussi déstabilisantes mais en même temps aussi dessinées, cohérentes, syncrétiques du bruit et exécutées comme telles, que celle que Monno donne à entendre sur Cheval Ouvert. Le seul nom qui me vient à l’esprit serait celui de Staer, et encore. Car là où les Norvégiens ne font qu’explorer toujours plus profondément leur passionnante cosmogonie stratifiée, les quatre Monno choisissent d’élargir toujours plus la leur sans pour autant faire perdre de son intensité au noyau fusionnel qui forme son cœur. La lumière et l’ombre ne font plus qu’une, le début et la fin se confondent, le monde perceptible est son envers et l’envers n’existe pas.

Monno sera en tournée fin septembre, l’évènement est suffisamment rare pour être signalé puisque le groupe n’a pas donné de concerts depuis le début de l’année 2011 :

le 23/09 à Liège (la Zone)
le 24/09 à Bruxelles (Magasin 4)
le 25/09 à Paris (aux Instants Chavirés et avec Noxagt !)
le 26/09 à Blois (le Château d’O)
le 27/09 à Montaigu pour la quatrième édition du Aïnu Fest – ainufest4.wordpress.com

Hazam (15/08/2014)