moe
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Moe
It Pictures – LP
Conrad Sound 2011
Oslo Janus – CD
Conrad Sound 2013
3 – LP+CD
Fysisk Format 2014

L'histoire a commencé le 21 octobre dernier, un mardi soir de concert au Terminus Bar, un soir de grosse crève qui vous fait hésiter à mettre le nez morveux dehors. L'affiche était trop alléchante : Arabrot, Rabbits et les inconnus Moe qu'une rapide écoute sur bandcamp donnait grandement envie de mieux connaître. Un concert, un grand sourire sur la tronche et une surdité aggravée plus tard, c'était razzia sur le stand de merchandising copieusement garni. La présence des trois norvégiens sur scène ne laissait pourtant pas présager d'une telle brutalité. Notamment la chanteuse-bassiste dont le nom, Guro Skumsnes Moe, a donné le nom au projet. Aussi grande que la bassiste de Melt-Banana, un total non-look, un sourire avenant, une tête à jouer dans la Petite Maison dans la Prairie, bref, pas le physique de l'emploi, celui qui va vous retourner comme une galette en martyrisant sa basse et ses cordes vocales comme une damnée. Le batteur frappe comme une mule, nécessitant en cours de concert l'installation d'un bon gros parpaing devant la grosse caisse qui s'avançait dangereusement et un guitariste bruitiste au regard de psychopathe derrière ses sages lunettes trop grandes. Ce fût beau, ce fût grand, ce fût impressionnant.




Le premier album It Pictures n'est pourtant pas encore de ce bois là. Mais tous les symptômes étaient déjà présents. Comme souvent quand des musiciens élevés à la musique classique et la musique improvisée rencontrent les affres du noise-rock, le mélange est détonnant. Les Norvégiens de Moe éclatent les structures sans non plus complètement les dynamiter. La dame au chant montre qu'elle possède plus d'un arc à ses cordes vocales, modulant les effets, entre cris maîtrisés et chant tendu, apaisé ou harmonieux, faisant presque penser à PJ Harvey sur un Covered By que n'aurait pas renier Kouma. Mais on sent que la folie n'est jamais très loin. Il ne faudrait pas grand chose pour dévier sa voix d'une trajectoire qu'elle tente de garder intelligible. Idem pour les morceaux, relativement minimalistes à la base, répétitifs mais que Moe aime dérégler, décaler, faisant subtilement monter la pression sans toujours la libérer. It Pictures garde ainsi un aspect mélodique, accessible, rock, mais la bête est à l'intérieur. Leur musique qu'on peut à la base cataloguer de noise-rock prend alors un virage expérimental, brutale et imprévisible. Moe n'affiche aucune limite à sa créativité. To David est une sinueuse pièce faussement lente que l'invité Lasse Marhaug (Jazkamer) perturbe de grouillements avec ses acoustic noise pour la fracasser définitivement dans un assourdissant amas de tôles froissées. Kjetil Møster (Ultralyd) et Kim-Erik Pedersen viennent souffler dans leurs saxophones et les bronches sur trois titres. Okkyung Lee apporte encore plus de couinements avec son violoncelle sur le morceau It Pictures. Et quand Moe se retrouve uniquement à trois, ils accouchent de morceaux fulgurants. Being Another ou I Go Down I Go Bright au souffle noise-rock magnifiquement convulsé et frappeur. Le schizophrénique Save Me flirtant avec le free-noise et qui part ensuite dans un épuré basse-chant aussi mélancolique que flippant. Moe avait déjà tout bon dès le premier album.





Avec le deuxième album Oslo Janus, Moe franchit un pas, un gros, dans la démence. Moe s'est rappelé qu'en Norvège, des grands tarés comme Noxagt circulent librement. Broyage, laminage, énormes coups de basse dans les gencives, guitare bloquant sur un riff perçant, rythmique radicalisée. Même le chant se transforme en grognement de succube. A se demander si c'est bien la blondinette qui posait sur la pochette de It Pictures qui chante toujours. Le syndrome Ovo de cordes vocales buvant un vitriol quasi identique. Guro Skumsnes Moe a basculé de l'autre coté de la force. C'est toute la musique de Moe qui plonge tête baissée dans une monstrueuse débauche de noise-rock aussi solidement charpenté et violemment rythmique que libre de jouir et ventiler des lambeaux de peaux sur les quatre murs d'un album qui met en transe. Que cinq titres mais que du furieux, du longuement douloureux. La dynamite est entrée en action et Moe s'en sert à merveille car le trio n'en met pas partout non plus. Une force de frappe maîtrisée, des montées en intensité dingues comme sur l'énorme Where's The DJ ?, des compositions devenues retorses, débridées, sûres d'elles avec la guitare balançant le riff lumineux toujours à bon escient pour contrer la dureté de la rythmique concassée. Oslo Janus fait date et marque l'entrée de Moe dans le monde des grands malades du noise-rock. Et puis un groupe qui nomme une chanson David Yow ne peut pas être un mauvais groupe.




Avec le troisième album sobrement appelé 3, Moe ne fait – et c'est déjà énorme – que prolonger le plaisir masochiste de Oslo Janus. Tout en pénétrant des territoires nouveaux comme le rythmiquement basique, sauvage et punk Tephra dont l'effet en concert était certain. Tout en envisageant son noise-rock radical de façon encore plus perverse, moins frontal et frénétique. Of Cabbages And Kings, les Swans bien sûr, voilà le nouveau langage vers lequel Moe se dirige. Des influences que le trio passe dans sa moulinette personnelle comme sur le lourd et inquiétant Meltdown, immense morceau majestueux plus noir qu'une armée en déroute ou MA, final dantesque totalement habité qui me fait pleurer de bonheur. A partir de structures répétitives se contentant de peu, d'un seul riff, d'un rythme mortellement insistant et de coups de basse bloquant sur la même corde (mais quelle corde!), Moe construit une cathédrale où chaque rangée de pierres est une nouvelle ascension vers des sommets d'intensité, des paliers successifs que le trio cimente avec une déconcertante efficacité en laissant de l'espace pour entrevoir la lumière. Ecoutez Mucosa et priez. Ce morceau n'est pas humain. Sept morceaux qui n'oublient jamais de rocker à l'instar de Let Them Dance, d'allier l'exigence de structures écartelées, irrationnelles, malades et l'efficience d'un groupe qui est aussi là pour aller droit au but et contenter vos plus bas instincts de punk. Cet album est tout simplement génial. Moe, un groupe qui, au travers de trois albums indissociables, s'assied tout en haut du podium des groupes incontournables du moment et pour longtemps.

SKX (10/11/2014)