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Many Arms
Suspended Definition – CD
Tzadik 2014

Vous, je ne sais pas mais moi ça fait des années que j’ai arrêté de suivre Tzadik à la trace et de guetter chacune des nouvelles parutions du label de John Zorn. Qu’il parait loin le temps où on pouvait y découvrir quelques japonaiseries de haut vol (Hyderomastgroningem des Ruins a été publié en 1995 ; MxBx 1998 / 13,000 Miles At Light Velocity de Melt Banana en 1999), découvrir également des compositeurs passionnants (le premier CD de Maryanne Amacher) ; ce temps où Zorn nous faisait partager son amour du renouveau klezmer (les fantastiques albums de Naftule’s Dream) ou en profitait pour rééditer quelques uns de ses meilleurs enregistrements de jeunesse (The Classic Guide To Strategy, Locus Solus ou The Big Gundown). Tzadik est trop rapidement devenu le repère d’une « avant-garde » complètement auto-suffisante et le déversoir de toutes les expérimentations de Zorn en tant que compositeur sans inspiration et instrumentiste fatigué. Et il ne s’en est pas privé le bougre, pour nous assommer d’ennui avec ses saloperies de Films Series, nous endormir avec The Dreamers, s’auto-parodier en déclinant le concept Masada jusqu’à l’écœurement et se prendre pour un génie du néo-barouf avec Moonchild. Mais qu’importe. Il arrive malgré tout que Tzadik publie encore de temps à autres de bons disques et en attendant la mort tragique de Dieu-Le-Père et son intronisation définitive au Panthéon de la Musique Savante du Troisième Millénaire, ce sont ces disques là que l’on préfèrera retenir.
Many Arms est à la base un trio originaire de Philadelphie. Suspended Definition est le deuxième disque du groupe publié par Tzadik après un précédent album sans titre paru en 2012. Si je me suis intéressé à Many Arms c’est à cause de son guitariste, l’incroyable Nick Millevoi, un jeune type découvert en concert lors de la quatrième édition du Gaffer fest à Lyon (Gaffer records qui a d’ailleurs publié en 2013 Haitian Rail, un album du Ricart-Millevoi Quartet et dont je vous recauserai à l’occasion). Aux côtés de Millevoi le line-up de Many Arms comprend le bassiste Johnny DeBlase et le batteur octopussien – many arms ? – Ricardo Lagomasino. Sur Suspended Definition, le groupe, devenu quartet pour l’occasion, accueille également un invité en la personne du saxophoniste canadien Colin Fisher (au ténor et au baryton). Chacun a pour l’occasion composé un titre pour l’album mais le leitmotiv reste à peu près le même tout au long de ces cinquante minutes : allier fureur électrique, énergie punk voire hardcore et metal et cataclysme free jazz. Un vaste et beau programme parfaitement réussi ici, disons-le tout de suite.
Ce qui n’empêche par Many Arms de (se) ménager quelques rares temps calmes, quelques petites pauses bienvenues avant le retour toujours inévitable – et espéré – de la tempête. Le groupe sait aussi faire preuve d’un goût très sûr pour la chaleur harmonique via les couleurs très contrastées du saxophone de Colin Fisher qui s’intègre parfaitement dans les savantes et trépidantes circonvolutions et autres déflagrations grind-jazz/free chaos de Many Arms. Il y a ainsi bien longtemps que je n’avais pas entendu un déferlement de fureur aussi compact et impitoyable. L’ombre des immenses Flying Luttenbachers de Weasel Walter n’est jamais très loin, surtout en ce qui concerne le jeu du batteur Ricardo Lagomasino qui a vraiment tendance à en foutre de partout et bien plus encore, jusqu’à l’explosion finale – Lagomasino étant épaulé par la basse intraitable et très sèche de Johnny Deblase, la section rythmique impose Many Arms comme une vraie machine à tuer les fascistes. Précisons toutefois que les amateurs d’électricité pure et de fission thermonucléaire préfèreront sûrement le précédent album sans titre de Many Arms, un album davantage axé sur la guitare de Nick Millevoi, sur les déflagrations soniques mais aussi sur les répétitions exaspérantes de schémas oppressifs dignes d’un Orthrelm. Suspended Definition est lui définitivement plus organique, plus différencié, plus jazz finalement, tout en gardant intacte la folie du groupe mais en lui offrant un écrin maléfiques aux reflets plus nuancés. Many Arms est donc un groupe à suivre de très près et, pour une fois admettons-le, Zorn a eu parfaitement raison de s’intéresser à lui. Un ultime éclair de lucidité ?

Hazam (18/05/2014)