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Normal Love
Survival Tricks - LP
ugExplode/Public Eyesore 2012

La brise du matin ne manquant jamais de me pousser vers le goulet du port, c'est avec un merveilleux esprit d'aventurier zélé que je monte à l'assaut de Normal Love. Et la montagne est belle comme disait le poète. Elle ferait même un tantinet peur répondit l'écho. A vrai dire, je ne sais par quelle face je vais l'escalader. Et surtout si je vais réussir à atteindre la moitié du sommet. Car l'accès à la musique de Normal Love est un long chemin tortueux couvert de boue et de crottes de boucs. Diaboliques, il va de soi.
Les proctologues de la musique appellent ça de l'avant-rock. Je veux bien. Sauf qu'avant le rock, je ne veux même pas savoir la merde que nos ancêtres écoutaient. Nous devrions plutôt appeler ça de l'après-rock mais ça fait trop apéro avec des glaçons, voir post-rock et une seule minute de Normal Love réduirait instantanément en bouillie n'importe quelle cervelle de ce genre musical éculé pour anarchistes de droite. Certains proctologues plus érudits que la moyenne et aimant aller au fond des choses sortent de leur manche la terrible étiquette de Rock In Opposition. Soit un truc datant du début des années 70 par ce rigolard de Fred Frith et Henry Cow qui n'est pas son pote mais son groupe d'alors. Soit le désir d'éclater les règles du rock en vigueur, faire évoluer les mentalités des gouvernantes victoriennes qui servent de directeurs artistiques dans des maisons de disques frileuses et ne comprenant rien à rien. Mais tout ça fait horriblement rock progressif et depuis cette époque des rouflaquettes et des pattes d'eph, bien de l'eau a coulé et les pieds de Normal Love ont trempé dans infiniment de courants qui font avancer le moulin.
Vous aurez remarqué que je fais tout pour reculer le redouté moment où il faudra un tant soi peu décrire ce disque. Nous allons donc parler de Weasel Walter. Ce toujours jeune freluquet, chantre de la batterie atomique et de la musique qui en découle, n'est pas du genre à s'amouracher d'un groupe tiédasse, d'un groupe qui y va qu'à moitié. Il aime, comme les proctologues, quand ça va profond, durablement et que ça fait mal. Nous touchons donc du doigt (c'est une image) le fondement de Normal Love. Un rock qui irrite, un rock qui dérange, un rock qui ne s'accorde à rien tout en s'accommodant d'une multitude de fragments de la musique au sens très large.
Expérimental est un terme galvaudé tant il est utilisé pour n'importe quel boutonneux sortant de son école d'art pétant dans sa guitare et en modifie les sonorités avec pro-tools. Accoler à Normal Love, il retrouve déjà plus de sens. Le rythme est le noyau central. Qu'il provienne de la batterie de Eli Litwin, de la basse ou de la guitare de, respectivement, Evan Lipson et Alex Nagle (soit deux Satanized), de l'autre guitariste ou des manipulations électroniques du compositeur en chef Ammon Freidlin (ex-Zs) ou du violon amplifié joué tour à tour par Jessica Pavone et Carlos Santiago, l'impact rythmique est le souci premier. Des rythmes concassés, martelés, découpés au chalumeau, hachés continuellement. Tous les instruments participent et jouent sur les rythmes, en même temps, chacun de son coté, se répètent à l'infini, obstinément, l'impression douloureuse d'être au milieu d'auto-tamponneuses, la tête comme un punching-ball, un dialogue de fou dont les fils apparaissent puis disparaissent au gré d'humeur très changeante, des interactions de dingues entre chaque instrument se balançant des parpaings de haute voltige. Les cordes crissent, la basse tape, le rythme s'arrête, repart, s'arrête, explose pendant une micro seconde, s'arrête, passe la balle à son voisin, avec toujours ce souci de mettre de l'espace entre chaque instrument, ne jamais surcharger le tableau sonore. Ca fait froid dans le dos.
La seule touche mélodique vient de la chanteuse Merissa Martigoni dont les cordes vocales n'étaient point présentes sur le premier album instrumental de Normal Love datant déjà de 2007. Enfin, mélodique quand elle veut. Sur le péplum I heard you could see Baltimore from there, elle est capable de nous faire une Charlie Lookker (Extra Life), diva d'opérette rock mais elle sait être aussi glaciale, hurleuse et primaire sur le ténébreux Breathe through your skin, détachée, douce ou narrative. Elle apporte en tout cas une touche d'humanité. Respire.
Tout ça pourrait paraître très cérébral, ultra technique mais c'est exécuté avec férocité, avec intensité (sinon le Walter n'aurait pas apprécié), le canevas de structures se met lentement en place dans votre cerveau dérouté, capable de sauvagement vous agripper (Lend Some Treats), une symphonie animale, une chorégraphie millimétrée et burlesque. La rencontre de la musique de chambre et du hardcore, de la musique expérimentale avec des intentions belliqueuses, la complexité du prog-rock et le nihilisme de la no-wave. Autant dire que c'est n'importe quoi. Pas la musique de Normal Love mais ces honteuses tentatives d'associations stylistiques.
Il vous faut donc écouter ce disque pas banal, par petites touches si nécessaire, remettre plusieurs fois l'ouvrage sur le réchaud pour dénicher la flamme incroyable qui agite ce Survival Triks. Je ne comprends toujours pas tout mais je n'arrête pas d'y retourner.

SKX (10/09/2012)