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Enablers
Blown Realms and Stalled Explosions - LP
Lancashire and Somerset/Exile on Mainstream 2011

La continuité dans le changement. Et inversement. Telle pourrait être la devise du quatrième album de Enablers, groupe de San Francisco. Et ce n'est pas valable que pour eux. Devise généralisée ou comment continuer à divertir les foules sans les lasser. Equation délicate sur laquelle nombre de groupes se sont casser les dents.
La magie d'Enablers a toujours résidé dans cette fragile alchimie, quasi inexplicable, entre tension et douceur, colère rentrée et béatitude, cette force dans un gant de velours, le frisson qu'ils arrivent à faire passer avec une formule pourtant austère. Un type qui raconte des histoires de sa voix rauque et incantatoire (dont on a la chance - et je parle pour la quasi intégralité des groupes qui ne chantent pas en français - de ne pas comprendre la signification des paroles, sinon je pense qu'Enablers et les autres gaveraient rapidement), deux guitares tricotant avec un minimum d'effets et une batterie subtile dans le fond, on a connu formule plus glamour pour vous filer la chair de poule.
Un numéro d'équilibriste qui tangue pour la première fois. Un morceau plus chanté que parlé de la part de Pete Simonelli (Visitation Valley), un instrumental (Hard Love Seat), quelques claviers ou des backing vocals qui étaient de toute façon déjà présents sur Tundra, tout ça, c'est de la poudre aux yeux, un détail.
Non, ce qui a vraiment changé, de concret, c'est le batteur. Doug Sharin (ex-Codeine et June of 44) a remplacé Yuma Joe Byrnes. Je ne sais pas si il est le seul responsable ou si c'est tout l'ensemble du groupe qui s'y est mis gaiement mais les morceaux ont gagné en puissance ce qu'ils ont perdu en finesse. En concert, cet angle d'attaque était magnétique. Etant resté sur cette belle impression, l'écoute de ce nouvel album concorde magnifiquement. On comprend qu'ils aient nommé un morceau Patton car ça envoie les chars. Sans doute leur composition la plus virulente à ce jour, faisant admirablement le pont entre l'Enablers des débuts et cette force nouvelle. D'ailleurs, c'est toute la face Blown Realms qui continue d'exercer un fort pouvoir d'attraction sur l'auditeur. Certes, l'effet de surprise n'est plus de mise mais ils peuvent écrire à l'infini des morceaux comme ce Patton, Career Minded Individual ou la montée en adrénaline d'un No, not gently, je crois que je n'arriverais jamais à m'en dégoûter.
Le problème est qu'Enablers n'arrive pas à maintenir ce degré d'excellence sur l'ensemble de l'album. En gros, toute la face Stalled Explosions. Et c'est la première fois qu'un album d'Enablers procure une impression contrastée. L'équilibre du groupe est ténu et peut vite s'effondrer ou du moins devenir quelconque si la qualité des compositions n'est pas transcendée. Le dialogue des deux guitaristes passe alors en mode routine. Cet effet de surprise dont on n'avait rien contre devient subitement pesant et ce manque de subtilité ne nous fait plus léviter. Enablers perd de son charme, le frisson devient glaçon.
L'instrumental Hard Love Seat est un bon morceau en soi sauf qu'il a un air de déjà entendu. Rue Girardon n'a rien non plus de catastrophique mais ça passe en force et à maintes reprises, on ne ressent plus cette magie si spéciale propre à Enablers, devenant alors un groupe de post-rock bruyant se fondant dans la masse.
Alors, on est dur sur l'homme, on coupe certainement le cheveu (qu'ils ont rare) en quatre sur la tête d'Enablers qui ne mérite pas telle vindicte. Mais quand on a été habitué à la qualité supérieure, qu'on a porté un groupe aux nues, la moindre baisse est prise comme une déchéance.
Blown Realms and Stalled Explosions, à la pochette toujours aussi classe de la part du label anglais Lancashire and Somerset avec les paroles sur un livret blanc et un autre carton avec assemblage de photos mystérieuses et infos habituelles, montre un groupe toujours charmeur et captivant mais aussi un groupe qui cherche son second souffle, en espérant que ce ne soit pas le dernier.

SKX (12/11/2011)