theconformists
sickroom


The Conformists
None Hundred - LP+CD
Sickroom 2010

L'avantage d'attendre pour parler d'un disque, c'est la possibilité de faire un prix de gros avec le compte-rendu de concert. Et de mieux appréhender le disque en question après avoir fait un brin connaissance avec cette bande de charlots. Les Américains de The Conformists sont venus pour la première fois en Europe en mai dernier. Une halte au festival Africantape (chargé de la version CD) à Lyon le 1er mai et à Rennes, le 6 mai. Ca vous aide à comprendre une musique aussi cintrée quand les mecs ont tous l'air d'avoir un grain. Adorables mais gentiment décalés. Et encore, on a échappé à celui qui paraissait le plus dangereux de la bande, Michael Benker, le chanteur resté chez lui auprès de sa femme qui venait d'accoucher. Et, désolé Madame, ce n'était pas une bonne nouvelle.
Assister à un concert de The Conformists sans son chanteur fétiche, c'est comme voir un concert de US Maple sans Al Johnson, ou Jesus Lizard sans David Yow, c'est terrible. Un seul être vous manque et tout est annulé. Sauf si un pote accepte au pied levé le challenge. Chris l'a relevé. Il a assuré comme il pouvait, c'était courageux de sa part mais Internet ne pardonne pas et à regarder les vidéos qui y circule, on sait bien qu'on a manqué quelquechose d'encore plus impitoyable, que Chris, malgré toute sa bonne volonté, ne fera jamais aussi peur qu'un Michael et sa folie capable d'exploser à n'importe quel moment. En échange, on a le droit au regard de psychopathe nain du guitariste Christopher Dee, autiste non-déclaré, la barbe aussi fournie que son ventre est gros du batteur Thomas O'Neill et de la tentative appréciable du bassiste James Winkeler de parler en français avec les autochtones. Un Américain adorant la France et qui fait l'effort d'en apprendre la langue par lui-même, c'est suffisamment rare pour ne pas lui dire. Son vocabulaire se verra enrichi de quelques mots bien salaces. La coutume est respectée.
Voir The Conformists, c'est surtout comprendre à quel point leur musique est totalement déconstruite. On s'en est bien sûr aperçu sur disque et None Hundred n'échappe à la règle de quatre et demi des albums précédents. Mais en concert, c'est encore plus flagrant. Vivre physiquement l'irrationnel est une épreuve bien plus rude que d'être installé confortablement dans son salon. Et bien plus jouissif. Ils aiment jouer avec vos nerfs, vous mettre mal à l'aise en tenant une note, toujours la même, sur un temps exagérément long, très long. Le batteur s'extirpe de son (solide) tabouret pour taper sur le pied de charley, pendant de longues secondes, de façon totalement blasé, pendant que le chanteur part à quatre pattes dans le public. Un groupe qui vous regarde droit dans les yeux, répétant inlassablement le même plan, content de leur roublardise, muant imperceptiblement les structures d'une composition explosant sans crier gard.
Le plus bel exemple est Swin Home. Sur disque, ce morceau donne l'impression que votre vinyle est rayé. Totalement confondant. Maîtrise technique absolument bluffante. Mais le plus fort est que sur scène, il reproduise à l'identique cette prouesse avec une facilité déconcertante. Naturel de branleurs sympathiques. None Hundred n'est cependant pas qu'un disque d'esbroufe, de contre-pied gigantesque, de répétitions obscènes et de stop and go déconcertants. The Conformists nous délivre des fulgurances noise-rock extrêmement punitives, d'une précision diabolique, d'une intensité graduelle, à l'image de Quality ou Jesus Was Shitty Carpenter (humour, toujours), le plus court des six morceaux d'un album qui atteint tout de même les trente minutes.
The Conformists, c'est désormais quinze années d'existence pour seulement trois albums d'une recette qui reste fondamentalement la même. Tout est histoire de détails, de peaufinage microscopique, de ciselage d'un rock très perturbé et provocateur et None Hundred est à coup sûr leur disque le plus abouti, leur plus belle réussite. Ne reste plus qu'à voir sur scène le groupe historique. Quand l'enfant sera grand.

SKX (19/06/2011)