It's A Lunken
It Is A Lunken - CD
Sound Devastation 2009

Bound - CD
Twilight Luggage 2010

Will Turner-Duffin : ce nom ne vous dira probablement rien pourtant c'est celui que porte le musicien/compositeur/arrangeur/ingénieur du son/producteur anglais qui a bossé sur le mastering du premier album de Das Simple dont le patron vous a parlé il y a quelques semaines. De l'aveu même du groupe marseillais, Will Turner-Duffin est pour beaucoup dans la qualité assez ahurissante et pour le moins originale du son de cet album et de fait Das Simple adorerait pour son prochain enregistrement pousser encore plus loin sa collaboration avec ce petit génie du rendu sonore. Et on les comprend aisément rien qu'à l'écoute des enregistrements du propre groupe de Will Turner-Duffin. Celui-ci est un duo et s'appelle It's A Lunken. Will Turner-Duffin y tient le rôle de multi-instrumentiste.
It Is A Lunken est le premier album de It's A Lunken. Un disque très difficilement descriptible, foisonnant, riche, violent, contrasté, vertigineux, grandiose, malsain mais complètement addictif dès les premières écoutes. Un album long et chargé, débordant presque, et sans concession. A mi chemin entre le doom le plus sombre et le plus froid et les manipulations sonores les plus osées en provenance de je ne sais quel génie de la musique industrielle. It's A Lunken a réussi là où Gnaw avait échoué avec son première album This Face - d'ailleurs sur le premier titre (Mk2) le chant fait très fortement penser à celui d'Alan Dubin mais cela ne durera pas - c'est-à-dire en mettant sur pieds avec des moyens totalement artificiels et frisant l'hallucination technologique une musique à très forte densité humaine (densité jusqu'ici rarement atteinte par une musique de laboratoire). Musicalement les deux groupes n'ont rien à voir mais on retrouve chez It's A Lunken le même genre d'impacts émotionnels que dégageaient les meilleurs albums de Foetus (Hole, Nail et Thaw). Seule la neuvième plage intitulé Bound In The Black Bark diffère quelque peu des autres en proposant sur une très longue durée une musique magmatique, sombre et létale mais toute en atmosphères et sans rythmique. Et ainsi sur It Is A Lunken les passages les plus calmes flirtent avec le meilleur de l'ambient et/ou de la musique acousmatique. Les passages martelés vous font entrer en transe. Et toujours on découvre des sons originaux ou dont le traitement/rendu est original - le mix de l'album relève plus d'une fois du phénomène. Comme sur ce Mk13 presque bluesy et poisseux. L'effet est d'autant plus impressionnant que la surprise est totale. Will Turner-Duffin et son petit camarade Barn Yanni sont vraiment à prendre très au sérieux en ce qui concerne l'avenir immédiat des musiques dévastatrices et qui ont du sens.
Et l'avenir de It's A Lunken est déjà là avec un deuxième album publié en 2010 sur le label norvégien Twilight Luggage. Bound est aussi long que son prédécesseur mais radicalement différent, privilégiant l'aspect le plus expérimental du groupe, les expériences en laboratoire sur des rats crevés et des sons improbables ou crépitants (toujours le rendu du mix). Faisant écho au titre Bound In The Black Bark évoqué plus haut (et repris ici mais transformé et divisé en deux parties), Bound démontre que It's A Lunken a vraiment plus d'une corde à son arc et il le prouve en pliant systématiquement les clichés dark ambient et les tics de langage de la musique concrète à son avantage : malgré la durée des titres on n'y trouve aucune longueur, aucune facilité ni complaisance. Et surtout pour la première fois on découvre que la musique de It's A Lunken peut également avoir affaire avec la beauté et avec la lumière même si celles-ci gardent toujours ce côté vicié et oppressant qui vous enserre sans pitié - par exemple les guitares suintantes ne sont pas forcément toujours très loin. Le voyage est éprouvant voire terrifiant mais c'est un voyage. Mk30 Bound By The Bloody Border Built joue la carte des instruments à cordes et du glissando, Mk18 pourrait presque être qualifié de dark folk céleste et Hoard lui offre une conclusion vocale assez inattendue. Avec Mk32 Bound And Drowned It's A Lunken remet les pieds dans la boue et le sang en renouant avec le doom le plus froid et malsain qu'il ait été donné d'entendre depuis le suicide collectif de Khanate. Et ce n'est pas peu dire, même si on n'atteint pas ici les sommets dévastateurs de l'ancien groupe de Dubin, O'Malley, Plotkin et Wyskida. Mk32 Bound And Drowned s'étale sur une vingtaine de minutes et ce sont vingt minutes de pur carnage sans concession. Et encore une fois ces enrobages sonores qui réussissent à éviter l'effet gratuit d'enluminure et donnent une réelle étrangeté à l'ensemble. Un disque aussi ambitieux que réussi.

Haz (11/12/2010)