Getatchew Mekuria & The Ex & Guests
Moa Anbessa - CD
Terp 2006

Catch my shoe a permis d'attraper au passage un autre album qui sent bon l'Afrique et qui était passé sous silence dans ces pages. Une honte. Une collaboration de nos Hollandais préférés avec le saxophoniste éthiopien Getatchew Mekuria et cinq autres invités : Colin McLean, le bassiste des feu-Dog Faced Hermans, Xavier Charles (clarinette), Brodie West (saxophone alto), Joost Buis (trombone) et l'organiste Cor Fuhler sur trois morceaux. The Ex et son orchestre, ce n'est pas nouveau et ils excellent dans le genre. Sauf que le point central de Moa Anbessa n'est pas The Ex mais Getatchew Mekuria. Un saxophoniste très réputé en Ethiopie, qui flirte avec les 75 printemps mais avec une énergie de jeune poulain, à l'image de The Ex. Ca vous donne un disque d'Ethio-punk. Ca parait tellement improbable comme association et pourtant ce sont bien ces deux mondes pas fait pour se rencontrer qui se sont télescopés, embrasés, dans un grand feu d'artifices de cuivres, de guitares, d'un saxo hypnotisant, de l'impact, de la grâce, du swing et de tellement de trucs incroyables qu'il serait trop long de détailler toute la richesse de cette bonne heure de musique.

Alors plutôt qu'un long discours, on va laisser la parole au guitariste de The Ex, Andy Moor, lors d'une interview réalisée le 13 août 2008 par Bret McCabe pour le journal de Baltimore, City Paper.

City Paper : Comment avez-vous découvert la musique éthiopienne ? Par la série Ethiopiques ?
Andy Moor : Non, nous étions dans la musique éthiopienne bien avant que cette série ne commence. J'écoute de la musique africaine depuis 20 ans environ et il y a 15 ou 17 ans, j'ai entendu ce disque de Mahmoud Ahmed, Ere Mela Mela - qui figure maintenant dans la série Ethiopiques, le n°7, mais à l'origine c'était juste un LP et c'était le premier album dans ce genre que j'ai entendu. Et après, ce fut Ethiopique Groove, qui figure dans la série également. Ces deux disques ont été sortis par Francis Falceto, le gars qui a eu l'idée ensuite de sortir la série des Ethiopiques mais à l'époque, il avait réalisé ces deux vinyls sur Crammed Discs.
C'est donc ainsi que nous avons découvert cette musique et nous avons vraiment, vraiment aimé ça. Après, nous avons pris l'habitude, à Amsterdam, d'aller dans des restaurants éthiopiens, il y en a une dizaine et nous avions l'habitude d'y écouter des vieilles cassettes avec un mauvais son et comme nous ne connaissions pas, nous étions toujours à demander aux serveurs ce que c'était. Et ils répondaient des noms imprononçables que nous ne retenions jamais. Cela a pris beaucoup de temps avant que ces noms nous restent en tête et que nous nous fassions une idée d'ensemble sur cette musique. Ensuite, nous avons découvert Getatchew la première fois que nous avons été en Ethiopie. Nous y avons trouvé une de ces cassettes. C'était une copie d'une copie d'une copie mais c'était vraiment excellent. C'était instrumental, ce qui était inhabituel parce qu'en Ethiopie, la music pop avec du chant est très très importante. En Ethiopie, les gens nous demandent sans cesse pourquoi peut-on s'intéresser à leur musique alors que nous ne comprenons rien aux paroles ?! Nous expliquons que nous adorons la musique que nous y entendons et comme nous sommes nous-mêmes musiciens, nous écoutons ça avec une approche différente.
Mais donc, à partir de ça, nous avons découvert qui il était et nous avons décidé d'inviter Getatchew pour les 25 ans de The Ex (c'était en 2004) pour un concert avec ICP (Instant Composer's Pool). Francis Falceto nous a mis en contact avec lui, il est venu ici, a joué avec ICP et ensuite, nous sommes parti en bus avec lui en tournée.

C.P. : le big band en entier ?
A.M. : Oui. Nous avons fait cette tournée dingue en France, pendant une semaine, avec 35 musiciens, dont Getatchew. Chaque soir, il jouait seul. A cette époque, nous ne jouions pas avec lui. Nous faisions notre concert normal de The Ex mais nous avions un morceau, appelé Getatchew, et nous l'invitions chaque soir à venir sur scène avec nous pour l'interpréter. C'était un de ces chansons et nous en avions fait notre propre version. Et je pense qu'il a vraiment adoré la jouer chaque soir avec nous. C'est lui qui nous a suggéré, après ça, de jouer avec lui. Il nous disait : Je vous veux - il nous appelait The Ex band - je veux que The Ex joue ma musique. C'était donc son idée, pas la notre. Ensuite, il nous a envoyé un CD avec dix de ces chansons, juste une mélodie au saxophone et après, on allait en salle de répétition et on essayait de mettre nos arrangements dessus. Il est revenu par la suite, nous avons répété tous ensemble, joué quelques concerts ensemble et avons enregistré. C'est vraiment génial de sa part d'être si ouvert parce qu'il n'était pas du tout familier avec notre style de musique.

C.P. : Vous n'avez donc pas enregistré en Ethiopie ?
A.M. : Non, nous avons enregistré à Amsterdam. Mais nous avons beaucoup préparé cet enregistrement. Nous avons écouté des CDs car quelques chansons figurent sur le n°14 de la série Ethiopiques et nous avons essayé de ne pas copier ces versions tout en gardant l'approche, apporter notre propre son et aussi nos propres idées. Et il était très ouvert. Dès qu'on apportait une nouvelle idée, il était toujours partant.

C.P. : C'était comment de jouer en Ethiopie ?
A.M. : Nous y avons joué pour la première fois il ya quatre ou cinq ans. Nous savions qui était Getatchew mais nous ne l'avons jamais rencontré. C'était juste comme une légende pour nous. Nous ne le connaissions donc pas vraiment et nous ne l'avons donc jamais rencontré lors de cette tournée. Pour notre set, nous avons fait un mélange de chansons de The Ex et de chansons éthiopiennes mais nous n'avons pas joué avec des musiciens éthiopiens. C'était juste nous, jouant notre propre répertoire devant un public éthiopien. Nous avons fait deux tournées comme ça. Une dans le nord et l'autre dans le sud du pays.

C.P. : Comment réagissait le public ?
A.M. : Un mélange d'amusement mais aussi de grande excitation, de la joie de voir cet étrange groupe hollandais venir chez eux et jouer quelques morceaux de musique éthiopienne. C'était comme une célébration mais aussi un spectacle. Pou eux, ça devait être quelquechose d'un peu bizarre mais c'était bien réel… Et par la façon dont nous jouions, ils sentaient bien notre énergie, notre enthousiasme car nous aimons réellement leur musique, on ne le faisait pas juste pour faire le spectacle. C'était vraiment…

C.P. : Sincère ?
A.M. : Exactement. Nous avons mélangé ça avec nos propres morceaux. Et ils ont vraiment aimé nos compos. Nous nous demandions comment ils allaient réagir à notre musique. Nous avons pensé choisir nos morceaux les plus mélodiques. Mais nous avons aussi interprétés quelques uns de nos morceaux les plus dingues et c'est ceux qu'ils ont le plus aimé. Ils ont apprécié le coté énergique, rythmique, je pense qu'ils ont aimé la puissance et l'énergie de ces titres. Je pense que notre musique était très bizarre pour eux. Mais peut-être que non… je ne sais pas en fait. C'était très dur de s'imaginer ce que la musique de The Ex, qui a évolué en 25 ans, allait représenter pour eux. Ils n'ont aucune représentation de ce que le punk a pu être. Ils sont familiers avec le hip-hop, un peu de R&B, de soul, James Brown et tout le truc des années 60 mais je pense qu'ils n'avaient jamais entendu un groupe punky avec des guitares comme les notre. Donc je pense que c'était un nouveau son pour eux mais avec une énergie reconnaissable à ce qu'ils avaient déjà.

C.P. : J'imagine que vous ne jouiez pas dans des clubs rock ?
A.M. : Non, nous ne jouions pas du tout dans des clubs. La plupart du temps, c'était dans des espaces publics. Comme sur les marches d'un théâtre par exemple. Ou plus généralement, sur une grande estrade en plein air, ou juste à coté d'une station service, devant 3 à 400 personnes. Ou dans une énorme étable. Ou dans un local de la police (rires). C'était à chaque fois étrange, on jouait dans des endroits pas du tout conçus pour des concerts. Nous avions à chaque fois un générateur pour les amplis et pour notre propre sono que nous avions apportée d'Hollande. Le concert s'organisait le jour même quand nous arrivions dans la ville. Nous devions aller voir le chef de la police et arranger un deal avec lui. Nous lui disions que nous voulions faire un concert et ce qu'il pouvait nous suggérer comme lieu. Et il nous suggérait un endroit. C'est comme ça que nous avons atterri une fois dans un local de police parce que c'est le chef de la police qui nous l'avait offert. Quelque fois, il nous demandait 50$ pour jouer, d'autre fois, rien du tout. Après, on partait en ville faire de la promo en voiture, avec un mégaphone et poser des affiches un peu partout.

C.P. : C'était très Do-It-Yourself !!
A.M. : (rires) Ouais ! Et bien sûr, le concert n'était pas payant. Il n'était pas du tout question de demander de l'argent. Nous avions reçu un peu d'aide de la part du gouvernement hollandais. Mais de toute façon, il aurait été complètement fou de demander de l'argent, complètement ridicule.

C.P. : J'ai lu, dans les notes du CD Moa Anbessa avec Getatchew, que vous aviez fait des copies cassettes de vos albums parce que personne n'écoute de CDs en Ethiopie ?
A.M. : Oui, pratiquement toute la musique se vend en cassette. Nous avons fabriqués 10000 cassettes et nous les avons laissées là-bas, pour voir ce que ça allait faire. Si vous voulez acheter de la musique, vous avez des magasins pour ça, vous y trouvez un peu de CDs mais ils sont chers. Les gens ne peuvent pas se les acheter, tout comme les lecteurs de CDs. Tous les taxis ont des autoradios à cassettes. Nous avons donc été voir la station de taxi principale de la ville et nous leur avons laissé plein de cassettes. Plein de taxis tournaient donc en ville, en jouant notre musique, ce qui était vraiment sympa !

C.P. : Avez-vous trouvé des copies de copies sur les marchés ? Je dis ça parce que j'en ai vu, ou des copies CDrs…
A.M. : La première fois que nous étions là-bas, c'était assez extrême. Vous aviez des copies de dixième génération. Les magasins de disques ne sont pas du tout autorisés à faire ça. Il y a des lois sur le copyright là bas également. Mais ça arrive toujours. Il y a 10000 cassettes de The Ex là-bas et Dieu seul sait combien de copies. Mais nous ne pouvons rien faire et ce n'est pas un problème. C'est comme ça que la musique se propage.

C.P. : Est-ce que vous avez une idée comment votre musique a été perçue, qu'est ce que les gens en pensent ?
A.M. : La moitié des chansons que nous avons jouées sont des vieux morceaux de Getatchew et la moitié de ces chansons ne sont pas de lui. Ce sont des morceaux traditionnels éthiopiens. Il y a même une chanson de guerre. C'était comme si un groupe éthiopien venait en Europe et jouait de vieux standards de blues. Mais la plupart des gens connaissaient ces morceaux. C'était juste une nouvelle version, ce qui arrive très souvent en Ethiopie. Beaucoup de chanteurs reprennent de vieux morceaux. C'est la tradition en Ethiopie.

C.P. : Tu as rejoins le groupe au tout début des années 90, n'est-ce pas ?
A.M. : Exact.

C.P. : Je ne suis familier avec la musique de The Ex que depuis la toute fin des années 80 mais il me semble que le groupe s'est élargit à la collaboration et la musique d'autres cultures que dans les années 90 ?
A.M. : Je pense que The Ex a toujours joué avec des invités, d'autres musiciens. Ils ont toujours fait ça et cela n'a fait que s'amplifier. Comme notre accès à différentes musiques n'a fait que s'améliorer, nous sommes confrontés de plus en plus à d'autres musiques. Quand j'ai rejoins le groupe, j'étais beaucoup dans la musique de l'Europe de l'est de celle de l'Afrique. J'ai toujours eu de nombreux disques de ces endroits. Quand je suis arrivé, ça correspondait aussi à l'arrivée de Tom Cora qui était aussi dans ce genre de musique. C'était le moment idéal pour explorer tout ça.
Nous n'avions aucune stratégie à propos de ça. Quand, dans notre local de répétition, personne n'avait vraiment d'idées et quelqu'un a suggéré d'essayer cette orientation, nous l'avons testé et ça marche ou ça ne marche pas. Et si ça marche, nous le faisons en concert et même en concert, nous continuons à l'expérimenter sans que cela marche à chaque fois. Mais c'est quelquechose qui a grandit peu à peu.

C.P. : Comment avez-vous accédé pour la première à ces musiques différentes de votre culture ? Est-ce que c'est le fait de vivre en Europe et d'être exposé à des cultures très différentes, le fait de voyager beaucoup ?
A.M. : J'ai beaucoup écouté de musique rock. Ce n'était pas facile d'écouter des nouveaux trucs qui me plaisaient vraiment. A l'université, j'étudiais l'anthropologie et j'ai soudainement eu accès, à la bibliothèque, à des tonnes de musiques du monde. Et je me suis dit, My God ! Je n'avais jamais réalisé que des gens enregistraient de la musique aux quatre coins du monde. Je ne savais pas que ça existait. Quand j'ai commencé à écouter ça, certains trucs étaient vraiment bizarres. J'ai réalisé que je n'avais jamais apprécié un style de musique en particulier et d'un seul coup, j'avais à disposition une tonne de musique à découvrir. Et ça continu, c'est sans fin. Encore plus maintenant où il est plus facile d'accéder à tous types de musique. Vous ne pouvez jamais dire que vous avez tout entendu ou que vous ne trouvez aucune musique qui vous intéresse. C'est impossible, c'est ridicule. Je crois que je n'aurais jamais assez de temps dans la vie pour écouter toute la musique que je souhaiterais. Bien sûr, beaucoup de musiques sont affreuses mais il faut faire également un choix dans tout ce que vous aimez.
Mais je crois que cette ouverture sur les autres musiques est une part importante qui fait que The Ex reste un groupe dans l'air du temps et se régénère. Nous ne sommes pas le genre de groupe à rester à la maison, assis à écouter des disques punks. Nous n'écoutons jamais de disques punks d'ailleurs. De temps en temps, un vieux disque de The Fall ou Birthday Party parce qu'ils sont incroyables. Ou des tout nouveaux trucs qui viennent juste de sortir ou de la musique électronique, du dubstep ou du dub africain. Toute cette musique influence sans doute The Ex mais on ne s'en rend pas compte.

C.P. : Ca rend très humble et plutôt cool de savoir qu'il existe toute cette musique de part le monde…
A.M. : Exactement. Humble par rapport à chaque région musicale que tu peux découvrir en surface tout en voulant approfondir la chose. Et pour vraiment pénétrer un style, il faut du temps, vous avez besoin d'écouter encore et encore cette musique. Ce n'est pas quelquechose que vous pouvez juste étudier. Vous devez écouter et ça peut prendre toute une vie pour connaître vraiment un style ou juste la musique d'un seul pays. C'est sans fin. Ca peut faire peur mais c'est fantastique également. Nous écoutons de la musique éthiopienne depuis très longtemps, c'est en place désormais mais actuellement, nous avons un autre projet, avec d'autres musiciens et nous ne savons pas où cela va aller. Et c'est génial. A chaque fois que nous allons répéter, il y a une part de mystère, d'expérimentations parce que nous ne savons pas comment notre musique va sonner.

C.P. : Ca doit être très intéressant de partager ça avec les autres membres du groupe ?
A.M. : Oui, c'est comme si vous étiez dans un nouveau groupe à chaque fois.

SKX (18/10/2010)