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Kourgane
Heavy - CD
Relax Ay Voo 2008
Cet oeil qui vous fixe, comme une anomalie découpée accidentellement
sur ce digipack, objet séduisant avec dorure à chaud, gaufrage
et livret 16 pages sur lesquelles cet oeil de bête continue de se
décliner, immobile, et vous interpelle. Ce lettrage sanglant et
dégoulinant. Ces cinq lettres, Heavy, lourdes de sens et
catégoriques. Autant de signes annonciateurs d'une malédiction
et je suis tombé en plein dedans. A pieds joints. Ces neufs titres
tournent depuis sans cesse en boucle dans des murs devenus subitement
trop étroits comme tourne immuablement cette machinerie diabolique.
Le complot de Kourgane suit un schéma de rouleau compresseur, quasi
identique pour chaque composition et c'est à se taper la tête
contre les murs. Rarement subi une telle pression. Une telle intensité.
Ce ne sont pas que des mots mis bout à bout pour faire de jolies
métaphores vide de sens quand on gratte un peu. Musique physique
qui donne envie d'hurler en même temps que la bête, avec un
réel impact sur le corps, quelquechose de puissant et de malsain.
Tu fais pas le malin quand tu écoutes ça, juste envie de
te débattre et t'agiter dans tous les sens. A plusieurs reprises,
on pense au Face of Collapse de Dazzling Killmen. L'exécution
n'a rien à voir (même si ce n'est pas à des années
lumière non plus) mais le coté machine implacable qui ne
vous laisse aucunes chances de vous en sortir, cette impression de vertige
face à un truc qui vous broie inexorablement, on la retrouve chez
ce quatuor de Pau.
Oui, vous avez bien lu. Pau. Ca sonne moins glamour que Chicago, moins
noise crédible. Mais il y a assurément là-bas, quelquechose
qui traîne dans l'air et qui rend dingue. En fait d'influences -
même si ça sert à rien d'en chercher car cette musique
tient debout toute seule, on parlera de famille musicale - il faudrait
plutôt chercher du coté européen. Des groupes rugueux
et implacables comme Alboth! et Zu ou les français de Voodoo Muzak,
RWA, Krumel Monster. D'ailleurs, c'est Stephan Krieger, ex-Vooddo Muzak
et tenant toujours les rênes de Amanita records qui a enregistré
le monstre Heavy et le bougre n'a pas perdu la main. Quand il s'agit
de donner un goût de ferraille et du volume à un rock non-conformiste,
il se pose là. Aucune gonflette. Juste un son clair, net, tranchant.
C'est une musique de transe. Tout dans la frénésie d'une
tension qu'ils font monter par couches successives. Un travail de sape
énorme de la part de la batterie et surtout des deux guitares dont
une guitare baryton qui sonne comme une basse distordue. Un jeu dans le
détail, millimétré, qui sait tirer des lignes mélodiques,
une multitude de trouvailles lumineuses amenant les morceaux à
un stade plus élevé que la simple décharge brutale
et malade. Et quand ils sont rendus là haut, ils ne lâchent
pas l'affaire et vous avez de tout, du lyrisme, de l'éclat, la
proie qui étouffe sous l'assaut. Pas de retombées, ça
coupe sec. Comme il n'y avait pas vraiment eu de montées non plus.
Kourgane vous amène en transe rapidement et si quelques morceaux
présentent certains ralentissements, la plupart vous confrontent
aux vertiges de l'apesanteur dès les premières secondes,
à coup de répétition, encore et encore. Respire mon
gars, respire. Un des morceaux les plus représentatifs de ce syndrome
se nomme Chemin Blanc. Six minutes brûlantes avec une basse,
pardon, une guitare baryton obsédante, l'autre guitare rythmique
ou harmonique, les riffs qui tournent, encore et encore, le truc qui prend
de l'ampleur, se nourrit de sa propre folie mais n'explose pas, juste
un vaste et dangereux bouillonnement où vous terminez épuisé
mais heureux. Et puis cette phrase revenant sans cesse, Tu sais Karine
on voit ton sein, marmonnée, chantée, expulsée.
Le genre de phrase obnubilante qui vous ressortirez hors contexte comme
un air à la con que vous sifflez sous la douche sans vous en rendre
compte.
Parce que comme si ça ne suffisait pas, il ya aussi le chant. Ca
pique un peu au début mais on se fait vite happer. Un chant alternant
le français et l'anglais, au sein d'une même phrase. Avec
un accent anglais tellement coupé au couteau que ça ne peut
que être du second degré (à coté, le chanteur
de feu Condense, c'est la reine d'Angleterre). I am the king of the
hy-po-cri-sy (bien détacher les syllabes). Surtout qu'il sait
avoir un accent impeccabeule quand il veut. Bref, faut s'attendre à
tout avec Fréderic Jouanlong. Un gars qui a déjà
collaboré avec Phil Minton (entre autres) et ça s'entend.
Il fait subir à ses cordes vocales toutes sortes de tonalités,
du guttural à l'aigue, du beuglement au subtil, du parlé,
du chant clair à un timbre comme saturé, jusqu'au grognement
de cochon (qu'il produit littéralement au début de Ce
qui était prévisible), pour enchaîner tout de
suite après avec du Mylène Farmer ?? (hahaha). Nan sérieusement,
cette voix est une force de plus, un instrument, l'idée d'un
sampler humain comme il dit lui-même, avec un choix de mots
imagés, précis. C'est coloré, vulgaire, dramatique,
humoristique, une signification abstraite mais qui fait mouche. Lacrymal
canal rouge et bleu ! Liquide à fond la tête aqueux !
On regrette presque que tout ne soit pas en français uniquement
pour encore plus d'impact, le mélange paraissant parfois bizarre.
Je pourrais vous tartiner pendant des heures avec cet album, le troisième
du nom après Bunker Bato Club en 2006 et qui faisait suite
à sept années de silence et un groupe à deux doigts
de disparaître pour toujours après un premier album sur Sonore
records en 1999 (Ivan Rebroff lonely hearts club band). Pas un
seul moment de faiblesse sur Heavy. De la caisse claire au rythme
imparable de Coven Ambré et sa ligne de guitare fulgurante
à la fin. Encore ces guitares, que ce soit sur Mariotte
ou Lounge lecture, sur la fin, urgentes. Le passage très
court et poignant du baryton sur Ce qui était prévisible
et ce Obstinail-Claw déclamé à pleins poumons.
La valse bancale de Conifères. Stop !
Un album charnel et féroce. Primaire et essentiel. On fait bien
de ne pas faire les bilans trop rapidement en fin d'année car ce
disque atteint sans forcer le podium, voir la marche la plus haute. Kourgane.
Heavy. Du lourd. Du très très lourd.
SKX (28/01/2009)
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