Einsturzende Neubauten
Alles Wieder Offen - CD
Potomak 2007

Je n'avais pas du tout prévu de parler de cet album de Einsturzende Neubauten. Ils font parti du paysage depuis tellement longtemps qu'on oublierait presque leur présence. Phrase sacrilège vu l'apport considérable des Allemands à la musique en générale ! Mais il faut bien avouer que le meilleur est derrière eux. Comme dit Thurston Moore dans le n° 4 de Noise, tu n'es nouveau qu'une seule fois, même si tu peux te réinventer, tu ne retrouves jamais la force motrice primale du début. (Il ne dit pas que des choses incompréhensibles le père Moore !).
Mais voilà, le premier morceau de ce disque m'obsède totalement. Die Wellen est son nom et j'ai dû l'écouter une centaine de fois, rien que lui, indépendamment de tout le reste du disque. Indépendamment de toute logique. Un morceau d'une grande simplicité, presque facile mais dont la puissance émotionnelle me met à chaque fois sur les genoux. Un morceau construit sur une montée, une grande et belle montée où chaque seconde gagne en intensité, où chaque seconde vous met à cran pour aboutir à plusieurs minutes qui ne peuvent que s'achever dans une explosion salvatrice qui ne viendra pas, le morceau vous laissant en lambeaux par un simple phénomène d'évocation terrible. Deux notes de piano répétitives renvoyant l'écho de Seele Brennt, le grondement grandissant d'une basse et surtout, la voix de Blixa Bargeld, cette diction distincte, cette façon claquante d'articuler chaque syllabe, le rythme qu'il donne à chaque mot, renforcée par la force rugueuse de sa langue natale. Jamais l'Allemand n'aura aussi bien sonné. Et quand au bout de deux minutes et quarante-huit secondes apparaissent les violons, cet artifice aussi pompier que génial, envoie Die Wellen en apesanteur, dans des sphères dont vous ne pensiez pas Einsturzende Neubauten capable d'atteindre à nouveau. Une sphère où vous avez envie de vous arracher à vous-mêmes, celle où Armenia, Sand, Negative Nein, Yu-Gung et autres morceaux mythiques de Neubauten tournent en orbite pour l'éternité.
Après une telle entrée en matière, tout le reste apparaît fade. En fait, avec ou sans Die Wellen, ça n'aurait rien changé. Une suite tranquille de ballades douces amères qui n'ont rien de déplaisantes sinon qu'elles ont le défaut d'être sans relief. Sans nerf. Sans tension interne. Un groupe de rock de pères peinards. Nick Cave à coté apparaît comme un jeune poulain tout fou. Il faut attendre le huitième morceau et l'imprononçable Unvollstaendigkeit pour retrouver de l'intérêt à cet album. Neuf minutes pendant lesquelles Neubauten retrouve de la noirceur, de l'épaisseur, de la fracture et même sur la fin, bien enfouis mais audibles, les cris déchirants de Bargeld dont il s'était fait la spécialité, ce chant qu'il a désormais rendu grave et apaisant. Ce morceau et le titre de clôture, Ich Warte, une ballade là aussi mais dont les arpèges acoustiques en boucle trouvent leur cible, soutenus sur la fin par une rythmique ferrailleuse comme on aime. Nous aussi, nous attendons. Ou plutôt, nous n'attendions plus grand chose de Einsturzende Neubauten. Thurston Moore a raison. La force motrice primale est bien morte et enterrée. Mais tant qu'il y aura des étincelles comme Die Wellen et que le corps bougera toujours, on continuera d'écouter tourner le moteur.

SKX (15/02/2008)