Savage Republic
1938 - CD
Neurot 2007

Ressurgir de nulle part ou presque après dix huit années de silence, donner à nouveau des concerts, publier des disques avec des vrais inédits dedans, c'est à 95% l'assurance d'un gros plan foireux pour nostalgiques en mal de jeunesse héroïque et hipsters craignant toujours d'être en retard d'un train, même et surtout lorsque celui-ci retourne à grande vitesse en direction du passé. Alors quid de cette reformation (très incomplète, sans aucun membre d'origine) de Savage Republic ? La seule chose à faire pour écouter et éventuellement apprécier 1938 c'est surtout de ne pas faire référence à ce maître étalon qu'est Jamahiriya Démocratique Et Populaire De Sauvage (1988, leur meilleur album et qui le restera sans doute à jamais) et de n'y jeter aucune oreille au préalable, même distraitement. Pourtant, c'est exactement ce que j'ai fait ou, pour être un peu plus précis, écoutant Jamahiriya assez régulièrement, c'est un disque qui ne m'est jamais sorti de la tête et que donc je n'ai pas su ni pu oublier lorsque 1938 a atterri dans la platine.
Du line up de la grande époque il reste donc trois membres : Ethan Port, Thom Fuhrman et Greg Grunke, sachant que de toutes façons ces trois là ne figuraient pas dans la formation d'origine, initialement sous le nom d'Africa Corps. De quoi brouiller toutes les cartes et de quoi aussi inspirer les méfiants, râleurs et autres mécontents (dont en général j'aime faire partie). Mais également de quoi accepter pour une fois de faire un effort parce que, allons bon, si ces gens là ont décidé de reprendre le nom de Savage Republic, de rejouer en concert l'indétrônable hymne post punk Viva La Rock'n'Roll sans avoir peur d'être des usurpateurs ni d'avoir l'air définitivement ridicules c'est peut être bien parce qu'il y a de très bonnes raisons à cela. Neurot recordings -dont le boss Scott Kelly est un grand fan de Savage Republic devant l'Eternel- a décidé de publier ce disque et d'apporter son soutien à cette reformation. Il y a donc autant de raisons d'être curieux que d'être septique à l'égard de 1938.
Autant dire que cela ne commence pas très bien. Pas très bien cela veut dire que quatre titres sur cinq d'un précédent EP paru il y a quelques mois (Siam, également chez Neurot) figurent sur ce nouvel album et, pire, les premières écoutes semblent dirent que ces quatre titres là sont justement les meilleurs de 1938 -mais les premières écoutes seulement, on respire un peu. En lorgnant vers des horizons inconnus et lointains, le post punk tribal de Savage Republic avait en quelque sorte été le précurseur dès le milieu des années 80 d'un certain avant rock, disons intelligent, qui ne se contentait pas d'aligner les poncifs paysagistes ou de faire sortir les mouchoirs. Dans toutes les influences ethniques du groupe, on retrouvait avant tout un désir innocent d'expérimentation et non pas les horripilantes illustrations sonores bien pensantes de ceux qui regardent depuis le bon côté. Avec 1938 Savage Republic a un peu perdu de cette intelligence là, risquant d'égarer ses auditeurs sur le trop long Caravan, dégainant quelques rengaines post rock planantes par trop affligeantes, montant en épingle des influences balkaniques, orientales voire asiatiques pas très bien digérées, mettant trop de côté l'aspect tribal et post punk de sa musique.
Voilà, j'ai encore l'impression de parler d'un mauvais disque mais en fait il n'en est rien. Il n'en est rien parce que justement ressurgissent à quelques occasions la basse écrasante, les guitares qui vrillent ou la pulsation des percussions. Le chant n'intervient que sur deux titres -mais de quelle façon !- gardant cette fougue distante typique des jeunes années de Savage Republic. Les titres au final paraissent variés -donc fatalement inégaux- et au fil des écoutes, pas nécessairement religieuses, 1938 réussit à s'imposer, imposer sa marque, sa force et son caractère. Evidemment, ce dernier disque (pour l'instant) est le moins intransigeant et le moins miraculeux de toute la discographie de Savage Republic, il est même tout à fait possible que je ne le réécoute plus jamais, il n'a pas le caractère définitif d'un Jamahiriya (au hasard, hein) mais il s'agit tout de même d'une tentative réussie de résurrection d'un vieux mythe, bien ancré dans le présent et comme tel sujet à quelques erreurs : les mythes étant inattaquables, il est parfois bien mieux d'avoir affaire à des êtres humains, juste pour le plaisir partagé.

Haz (02/12/2007)