Maninkari
Le Diable Avec Ses Chevaux - 2xCDs
Conspiracy 2007

C'est la fin de mon mois d'essai chez Perte et Fracas : vais-je pouvoir rester à mon poste, vais-je devoir rempiler pour une nouvelle période d'essai d'un mois (avec toutes les humiliations que cela suppose…) ou bien vais-je moi aussi me faire virer comme un malpropre et sans aucune indemnité ? Dernier test avant de passer à la casserole dans le bureau des ressources humaines, le patron qui m'envoie ce message laconique : tiens, tu vas nous faire un truc sur l'album de Maninkari, moi je trouve ça beaucoup trop long mais toi je suis sûr que ça va te plaire, c'est de la musique de hippies, tout à fait ton style. Mon style ? Ça sentait le piège à plein nez : ou bien j'avouais que j'aimais ce disque et je prenais la porte (la Bretagne n'est pas la Lozère) ou je prétendais détester ce double CD rempli jusqu'à la gueule de musique en provenance directe du Patchoulistan. J'ai choisi en mon âme et conscience.
J'ai donc préparé mes arguments à l'avance, oui ce disque est trop long, écouter le deuxième CD ne sert à rien puisque c'est exactement la même chose que sur le premier mais en moins bien, etc. J'allais prétendre aussi qu'écouter les 120 minutes du Diable Avec Ses Chevaux d'affilée n'était possible que sous certaines conditions. Par exemple, tu as une femme, deux gosses, un chien, c'est dimanche, la télé est en panne, il pleut c'est dégueulasse et pour occuper tout le monde tu as organisé une partie de Scrabble. M.A.N.I.N.K.A.R.I. Avec le K sur lettre compte double, la dernière lettre qui atterrit sur mot compte triple et toutes les lettres de placées au final cela te fait un total de 137 points. Pas mal quand même. Pour la définition on verra plus tard mais ce sera genre : rituel chamanique d'expiation transcendantale consécutif à une trop grande inhalation de résidus d'hallux valgus râpé de moine tibétain. J'étais fier de moi et plus que certain de pouvoir définitivement installer mon bureau dans un petit coin du P&F building. L'ascension sociale, la fortune, la gloire, l'eau courante et les toilettes à l'étage -tout désormais allait pouvoir me réussir.
J'ai quand même eu l'idée d'écouter ce disque. Et depuis je n'écoute plus que ça, ou presque (d'ailleurs j'en ai un peu marre de jouer au Scrabble). La longueur est précisément l'imposante qualité du Diable Avec Ses Chevaux dont les ambiances sont tenaces et presque définitives. Il faut aimer la répétitivité des motifs, les mesures incomptables, les rythmes polymorphes (et pervers) d'apparence inorganisés -mais d'apparence seulement- et il ne faut pas avoir peur de ce que le premier tâcheron rimbaldien traumatisé par ses cours de français en classe de seconde qualifierait d'invitation au voyage. Mais un voyage vers nulle part, je veux dire vers aucun territoire connu et balisé. On peut reconnaître par endroit quelques touches de punk-noise folklorique européen ou des atmosphères bâtardes s'élargissant sur un état froidement contemplatif. On peut se dire qu'il y a du violon, des drôles d'instruments moitié à cordes, moitié percussifs, qu'il y a des samples, des synthés, des effets troublants d'un écho à la fois caverneux et aérien. Que le piano fantomatique laisse un drôle de goût dans la bouche (un goût que j'ai aimé) et que si chacun des onze titres de ce Diable Avec Ses Chevaux se ressemblent, preuve que Maninkari a parfaitement su se créer une personnalité forte, ils ont tous quelque chose de particulier et d'unique, preuve que le duo a également su gérer son identité. Cette musique ne peut tout bonnement pas s'expliquer, ni être réduite à un quelconque schéma. J'imagine qu'elle peut facilement être détestable, si tant est que l'on déteste tout ce que je viens de décrire au dessus. Personnellement, je l'adore.

Haz (11/11/2007)