KOURGANE
En lisant la chronique à peine dithyrambique de l'album Heavy
par Kourgane, vous avez compris que c'était pas tous les jours
que l'on était secoué par une telle musique, que l'on
rencontrait un tel ovni. Forcément, ça vous donne des
envies, en savoir plus et faire connaissance avec ce qui se trâme/brame
dans la tête de ces drôles de palois.
Interview par messages électroniques, courant février
2009. Merci à Jérôme, Frédéric et
Kourgane.
Une
première question classique mais nécessaire vu le peu
d'infos qu'on a sur vous et en plusieurs étapes :
Pouvez vous me raconter la genèse du groupe (avec qui, comment,
pourquoi) et comment la formation a-t-elle évolué jusqu'à
ce Heavy ?
Kourgane
c'est formé en 1996.
La première mouture était un trio, avec Jérôme
Renault à la batterie, Olivier Bernet à la basse (musicien
activiste leader de Shunatao et compositeur de la BO de Persepolis)
et Frédéric Juanlong au chant. Très rapidement
Jean Marc Saint Paul au saxophone a rejoint la formation puis, un an
plus tard environ, Gilles Lahonda à la guitare, suivi de Loïc
Saint Paul à la trompette. Cette formation a durée environ
3 ans. Nous sommes tous des musiciens palois, le band c'est monté
spontanément, à l'envie et sans projet particulier. À
l'époque nous étions sous influence John Zorn et compagnie,
c'est peut-être ce qui a guidé nos premières intentions
de départ.
En 1999, on a été pris sous la coupe du label Sonore de
Frank Stofer qui a sorti l'album Ivan Rebrof
Que
s'est il passé entre 1999 et 2006 et qu'est ce qui vous a décidé
de reprendre du service ?
Kourgane s'est sabordé à l'aube des années 2000,
suite à une série de déceptions et de différents
quant à certaines visions de la musique. Pendant ces 5 années,
chacun a mené divers projets dans des styles très variés.
( Country punk, surf music, garage, Jazz no wave, chansons ...).
Au sein du Welter Quartet, Jérôme Renault a rencontré
le guitariste breton, Ryan Kernoa.
De fil en aiguille, l'envie de reprendre du service c'est fait sentir.
Cette fois ci en quartet. Gilles a abandonné sa guitare pour
une guitare baryton. Ryan a rejoint le band et Kourgane c'est tranquillement
remonté avec l'envie de faire l'inverse de ce que l'on faisait
à l'époque, à savoir : une musique plus simple
et directe, droite, sans fioritures ni concessions.
Je
n'ai pu écouter que quelques morceaux de vos précédents
disques avant Heavy mais il me semble que la musique a pas mal
évolué... Est-ce seulement lié à un changement
de personne(s) ou plus simplement des musiques récentes qui vous
ont influencé ?
En fait Kourgane ne s'inspire pas vraiment de musique rock pour composer
ses morceaux. Mis à part Gilles qui écoute pas mal de
trucs métal/noise expérimentaux, nous écoutons
tous des genres très variés. Cela va de la noise au tango,
en passant par l'easy listening où la folk, la musique Trad,
le flamenco, du jazz, de la pop, du rap, de l'indus ...
Peu importe le genre, c'est le propos qui préside à chaque
musique qui nous importe, plus que le style à proprement parlé.
Kourgane a toujours eu la volonté de faire un truc à part
c'est vrai. Mais on discute très peu de musique (on parle beaucoup
plus de bouffe, de cul, de nos enfants...), la seul envie en commun
que l'on avait, c'était de se faire plaisir et surtout de jouer
des morceaux plus simples, plus cartons. Le changement de line up a
aussi influencé le son de Kourgane.
On pourrait dire que l'on a eu un déclic quand on a composé
Cerf A, sur le précèdent album Bunker Bato Club.
Sans trop savoir pourquoi ni comment, on s'est dit : c'est ça
qu'il faut faire !
Ca
ressemble à quoi une répétition de Kourgane ? Des
heures et des heures pour mettre tout ça en place, une façon
de composer au détail près ou une large part d'impro ?
En réalité Kourgane répète assez peu, voire
très peu : des répétitions courtes ( maximum 2
heures), pas très régulières à cause de
nos emplois du temps. En général, un morceau nous tombe
dessus sans prévenir. On part d'une impro, où d'un riff.
On fait une structure de base que l'on enregistre pour Fred qui de son
côté met en place les chants. Nos morceaux se montent en
2 à 3 répétitions maximum. Si cela traîne
plus, on laisse tomber. On part du principe que si le plan ne vit pas
naturellement, on l'oublie. De temps en temps, on fait des sessions
baryton/batterie pour chercher des idées mais, en général,
on en profite pour jouer tout ce que l'on ne jouera jamais dans Kourgane...
Histoire d'être sur que l'on fait le bon choix. Une fois la matrice
posée, les instrumentistes se mettent "au service"
du chant. C'est notre seule ligne directrice, ce qui nous donnent une
belle part de liberté en concert. On suit la voix, un point c'est
tout.
On ne répète quasiment jamais le répertoire, le
but étant de lui laisser une fraîcheur, d'être en
tension sur scène, à l'écoute, loin des plans tout
écrit. Notre musique n'est pas improvisée mais libre.
Je
crois que vous étiez assez amis avec tous ces "vieux"
groupes comme RWA, Krumel Monster, Escare, Voodoo Muzak. Quels sont
vos liens exactement avec toute cette scène noise-rock des années
90 ? D'ailleurs, est ce qu'on peut dire que Kourgane appartient à
une scène bien précise ????!!!!
L'équipe de RWA, Krümel, Voodoo Muzak sont des amis et des
influences majeures. Surtout Stéphane d'Amanita. Cet homme nous
a fourni une sacrée partie de nos discothèques. Nous avons
enregistré plusieurs fois chez lui et suivi les évolutions
de son studio.
Kourgane était très proche de Krümel Monster. Pour
nous, c'était le groupe français !!! Mais l'époque
n'était pas simple et nous nous sommes tous un peu essoufflés
de part le manque de visibilité de notre musique.
En tous cas Kourgane souhaite n'appartenir à aucune scène.
Notre truc, c'est nous et notre " HEAVY NOISE". Avec un côté
mégalo, nous souhaitons créer un style à part avec
ses règles, ses clichés, ses poncifs, ses codes. Cela
nous fait marrer d'imaginer que nous sommes à la base d'un truc
à la fois nouveau et rétrograde. Du rock régressif
en gros !
Blague à part, le terme de "HEAVY NOISE" est celui
que l'on préfère.
Pas de post machin chose... L'appartenance à une scène
c'est compliqué en plus, tu ne peux pas vraiment le revendiquer
si tes pairs ne t'en donnent pas la légitimité, comme
on te le disait on ne cherche pas ça, on cherche à impacter
avec notre musique, que notre musique soit reconnue pour ce qu'elle
est, et le reste... Bref, tout ce que cherche un groupe aujourd'hui.
Ce concept de scène est vraiment trop réducteur pour nous.
C'est bon pour les programmateurs et les marchands de disques...
Ca
ressemble à quoi de faire une musique comme la votre à
Pau/sud-ouest de la France ? Est ce que c'est dur de s'y produire, vous
vous sentez isolés, est ce que vous pouvez parler de la scène
locale ?
Cela ressemble à un véritable suicide commercial ! C'est
forcement dur de s'y produire. On joue très fort en concert.
Pas agressif mais fort, puissant.
Mais, on ne se sent pas isolés car nous avons beaucoup d'amis
musiciens qui nous respectent, qui apprécient notre démarche.
Pau est un bon vivier en terme de scène locale. Les groupes sont
bons, très pros. Je crois que l'on s'emmerde tellement à
Pau qu'au final il ne te reste plus qu'a faire de la musique. Du coup
le niveau est bon, très bon pour une petite ville de province.
Tous genre confondus....
Comme
il me semble que vous êtes dans le milieu musical depuis un bon
moment, comme voyez-vous l'évolution de cette scène "noise"
en France, notamment avec le développement d'internet mais aussi
pour trouver des concerts ?
On a jamais fait partie de la scène noise, donc on ne sait pas
trop.
Internet c'est bien, très bien. cela donne une autonomie au groupe.
Cela permet la mise en réseau.
Après pour trouver des concerts c'est galère car les salles
de moyennes importances ne font plus les groupes " découvertes",
les assos sont pleines de bonnes intentions mais non pas un rond. Les
normes de sécurités sont de vrais dossiers de corruption.
C'est difficile de tourner en France et de ne pas perdre d'argent.
En vivre c'est carrément utopique pour l'instant. Puis la politique
culturelle du moment ne fait pas rêver. Le problème n'est
pas lié à un type de scène mais à un état
d'esprit. En Espagne tu balances un concert de noise, d'indus dans un
village de montagne, les gens sont à fond !
Les vieux, les jeunes, tous le monde ... J'ai vu James Chance à
Huesca ( petite ville aragonaise), il y avait plus de 600 personnes.
Et tu peux être sure que 580 personnes n'avaient jamais entendu
parler de Mr Chance. Encore une fois, c'est un état d'esprit.
C'est
quoi le délire derrière l'artwork de la pochette avec
le cerf ??!!
L'idée est assez simple en fait : pas de représentation
de nous même. Juste une vision imagée, fantasmée
de nous. Je crois que l'on sera au top dès que les chimères
feront leurs apparitions. Une représentation entre rêve
et réalité.
Fred au chant donne cette direction, entre cauchemar éveillé,
poésie surréaliste et un truc typiquement Kourganesque.
Après Jean Marc Saint Paul est un graphiste d'exception, avec
des idées incroyables. Jamais là où on l'attend.
Si on veut un truc, il faut lui demander l'inverse !
En
parcourant votre site web, je découvre un projet dans lequel
vous êtes impliqué et qui répond au nom de Gamma/Ecrire
un mouvement : est-ce que vous pouvez en parlé un peu plus ?
En fait le projet s'intitule Beta, Gamma est un autre projet de Ecrire
Un Mouvement, un projet de film.
Beta est un spectacle concert conçu et mis en scène par
le chorégraphe Thierry Escarmant, qui est lui aussi basé
à Pau. Nous avons réalisé toute la création
musicale que nous jouons en live avec deux comédiens récitants
et une danseuse au centre d'une installation vidéo qui scanne
son corps. En sus, il y a un musicien qui est invité, soit le
saxophoniste Akosh S., soit le saxophoniste Daunik Lazro pour qui nous
avons une grande estime et affection... au passage.
Thierry Escarmant est aussi auteur, il écrit beaucoup de poésie,
on pourrait l'associer à des poètes tel le catalan Antonio
Gamoneda ou Charles Juliet. Il a écrit un texte fleuve pour cette
création qui dure 1h15.
Thierry Escarmant n'écoute pas vraiment de musique, encore moins
du rock et tous ces trucs, mais par contre il avait repéré
notre engagement physique dans les concerts et la force de projection
de la musique... Normal pour un chorégraphe dirons-nous...
Nous nous sommes donc mis au service de son projet mais nous n'avons
pas proposé la musique que tu connais. Il y avait beaucoup de
contraintes d'entente du texte, de son intelligibilité, bref
c'était du spectacle vivant pas du rock, par contre le final
est vraiment carton...
Nous avons fait un travail intéressant de mise en relation avec
un texte dit, pas facile... Et ça marche très bien pour
ça, c'est vraiment spectaculaire.
C'est une belle expérience, ça nous a aidé à
affirmer des choses du point de vue de notre musique en tout cas.
De cette création nous avons extrait le morceau Chevreuil
A que nous avons fait figurer sur Heavy en morceau final.
Il est possible de voir des vidéos sur le site www.ecrireunmouvement.com/beta
Le projet devrait tourner en 2009/2010 en France.
(question
au chanteur Frédéric Jouanlong)
Je
connais Phil Minton par l'intermédiaire de Roof/4 Walls et avant
que je ne lise que tu avais déjà joué avec lui,
ta manière de chanter me faisait penser à lui.
Peux tu déjà parler de ta collaboration avec lui mais
également ton cheminement artistique pour arriver à cette
façon de chanter, le sampler humain comme tu dis...
Pas de collaboration directe pour l'instant. Un morceau de Kourgane
avec lui et Daunik Lazro lors de la sortie de Heavy (voir vidéo
myspace). Autrement, j'ai travaillé avec lui sur deux cessions
du Feral Choir. Après, je suis tout simplement sensible
à ce qu'il fait. La dernière fois que l'on s'est croisé,
on a commencé à discuter de nos univers respectifs. C'était
très émouvant pour moi.
Un cheminement artistique, pas vraiment. Des personnes comme Phil Minton,
Benat Achiary et Mike Patton....m'ont fait prendre conscience d'autre
chose. Une manière de chanter plus vraie, originelle, moins "
belle " mais pour moi plus expressive. L'idée de sampler
humain est cette idée d'avoir en soi, des banques de sons correspondants
à des émotions. On appuie et ça sort. Autant qu'il
faut. Mais avant tout son
.toujours une émotion, toujours.
Non seulement il ya ta façon de chanter
mais il ya aussi la force des mots. J'aimerais connaître ta façon
d'écrire, si tu cherches à raconter une histoire pour
chaque titre ou c'est plus le son, l'association des mots que tu recherches
?
Il y a une émotion. Ensuite, j'essaie de la décrire, l'écrire
aussi fidèlement que je peux. Tout néologisme est permis,
phonèmes
Il y a ensuite le souci de musicalité. Faut
que ça claque à mon oreille, que j'aie un sentiment de
justesse sonore. Quand tout ça est réuni, je cherche la
mélodie qui va avec. Tous mes textes sont des histoires, j'aime
les histoires, des récits, des constats, témoignages,
légendes et mythologies pouêt pouêt.
Pourquoi cette association
français/anglais ?
J'ai trop écouté Gainsbourg
.parce que ça
sonne. Association surprenante des fois.
Comment associes tu tout ça à la
musique ? Tu viens avec tes textes déjà écrits
où tu les adaptes à la musique ? Participes tu à
l'écriture musicale également ?En
répétition
.soit je m'assoie et écoute les
autres, je me fredonne des mélodies, écris ou bien j'improvise
et dès que quelque chose se passe, qu'une émotion se fait
sentir, j'enregistre ce qui se passe. J'ai toujours un stock de textes
déjà écris ou je les écris pendant ou après,
chez moi, en réécoutant la répétition. Je
préfère trouver sur le moment, j'aime la spontanéité
.elle
est vraie, ne trompe pas. Je ne compose que mes mélodies au chant.
Tu sais, je crois, tout au fond de moi, que chaque son est noble et
du coup écriture. J'aime la musique improvisée pour cela,
aller chercher en soi des sons, des mémoires sonores. J'aime
aussi la sensation d'être devant un mot, un seul, et de sentir
qu'il veut parler, qu'il comprime un univers
.j'adore fouiller
les mots. Des fois et très souvent, leur musicalité ne
va pas du tout dans le sens de leur sens.
SKX (23/02/2008)