<14|03|2021> Ça peut toujours être pire

Viagra Boys / Welfare Jazz / Year0001 records 2021 :
Que de chemin parcouru en à peine cinq ans depuis Consistency Of Energy sur lequel Sebastian Murphy, le chanteur américain du groupe suédois, clamait haut et fort être à la recherche de produits chimiques. Au fil des sorties et du premier album Street Worms, on sentait bien que la pilule bleue n’avait plus le même rendement, que Viagra Boys devenait plus inoffensif tout en diversifiant son propos mais on continuait à y croire. Avec ce second album, Murphy clame désormais qu’il est sur le chemin de la rédemption. Fini de se comporter comme un gros con et les produits illicites. Et ça, c’est pas bon pour la musique. Welfare Jazz comporte quelques bons mais rares titres comme Toad mais en gros ça bande mou, c’est même régulièrement à coté de la plaque comme l’ignoble Creatures ou Girls & Boys. Les gimmicks électro prennent de la place et deviennent trop faciles, la basse rentre dans le rang, le saxo ne fait guère plus d’étincelles, ça tourne en rond sur 6 Shooter comme un symbole du manque d’inspiration générale. Et comme Murphy se rêve en chanteur crooner country, il endosse le chapeau de cowboy sur le fatiguant To The Country ou en duo avec Amy Taylor (Amyl & The Sniffers) dont le seul intérêt est d’être marrant deux secondes. Murphy, remets-toi à boire.
Emma Ruth Rundle & Thou / May Our Chambers Be Full / Sacred Bones records 2020 :
Moi aussi, j’ai voulu en être et participer à la fête vu que les louanges ne cessaient de pleuvoir comme la misère sur le bon peuple avec cette collaboration. Ce qui me paraissait très surprenant étant donné l’énorme vacuité du duo Thou qui n’a cessé de pondre des albums plus lénifiants les uns que les autres. Jamais compris l’emballement sur ce groupe mais c’est pas la première fois que je comprends rien à l’histoire. Et là, ça va encore copieusement m’échapper. Thou possède une propension édifiante à plaquer des riffs insignifiants qui n’ont d’égal que le ridicule de leur tentative de solo de guitare (comme sur Out Of Existence), des rythmes pachydermiques et ennuyeux sur lesquels flottent le chant indolore de Rundle qui vaudra toujours mieux que la voix de goret qu’on égorge de Thou. Un disque tout gentil, pesamment mégalo, d’une platitude extrême dégageant une émotion proche de la palourde s’enfonçant dans la vase et dont personne n’entend les cris quand la marée monte. Franchement, entre nous, yen a vraiment qui trouve ça beau ? Et avec le EP suivant The Helm Of Sorrow, c’est la même arnaque. Pas étonnant qu’ils reprennent du Cranberries. Je suis pas prêt de participer à la fête.
Untitled With Drums / Hollow / Seeing Red, Araki, Atypeek Music, Brigante records 2020 :
Si le nom du groupe fait référence à un morceau de Shipping News, les influences du groupe de Clermont-Ferrand Untitled With Drums sont à chercher du coté de Failure, Deftones, Cave In, True Widow, toute une scène post-hardcore qui n’a de hardcore que le nom. Et qui n’est pas franchement en odeur de sainteté par ici, c’est peu de le dire. Si le début de l’album peut encore faire illusion avec un surplus de mordant sur la triplette d’ouverture, une consistance qui tient la route et le gros son (à double tranchant) de Serge Morattel, tout se dilue peu à peu dans des atmosphères post-rock aseptisées, un heavy rock poli et bien élevé, des compos qui tirent plus vers le slow emphatique que la ballade poignante et des mélodies (de chant notamment) épiques limite héroïques qui me donnent envie d’embrasser un accoudoir. Une histoire de tonalité générale et d’options qui font pencher la balance du mauvais coté.
Junon / The Shadows Lengthen / self-released 2021 :
Junon, c’est nouveau mais c’est fait avec de l’ancien puisque ce sont les membres de General Lee, groupe du nord de la France qui avait cessé toutes activités depuis cinq, six ans. Des années que les six musiciens n’ont pas mis à profit pour changer de direction musicale. Quatre titres d’un post-hardcore aussi lourd que planant, sombre que mélodique, bref, rien de nouveau sous le soleil bas des Hauts de France de la part d’un groupe qui y met tout son cœur et leur savoir-faire. C’était le minimum qu’on puisse attendre. Les fans de General Lee et de ce style de musique vont être contents. Les autres iront finir leurs mots croisés en toute quiétude.
Aua / I Don’t Want It Darker / Crazysane records 2020 :
I Don’t Want It Darker parce que mine de rien, c’est déjà suffisamment sombre comme ça. Un disque qui a l’air léger et entraînant mais qui trimballe un spleen contagieux, une noirceur derrière un sourire avenant, une sale mélancolie qui en deviendrait presque attachante. Aua, un duo allemand (avec des invités à la basse) dont les synthés omniprésents rappellent Portishead mais aussi les pulsations rythmiques souvent trépidantes et l’ambiance electro-dark-post-punk surréaliste et angoissante avec une petite tension à l’arrière-plan planquée sous la douceur de façade. Pas vraiment ma tasse de thé mais j’avoue que ce disque possède pas mal de charme.
Entropy / Liminal / Crazysane records 2020 :
L’entropie caractérise l’aptitude de l’énergie contenue dans un système à fournir du travail, ou plutôt son incapacité à le faire : plus cette grandeur est élevée, plus l’énergie est dispersée et donc moins utilisable. En informatique, l'entropie est une mesure de la quantité d'aléatoire dont dispose un système ou une application, qui peut être générée de multiples manières et qui est utilisée notamment en cryptographie ou pour l'effacement sécurisé de données. Voilà, au moins vous aurez appris quelque chose grâce à l’album de ce groupe allemand. Le reste est totalement superflu sauf si vous aimez vous faire du mal à écouter du rock FM. L’entropie, c’est plus ce que c’était…
Don Aman / Monsterlock / Urgence Disk, Last Disorder, Araki, Presto Chango 2020 :
Les deux premiers albums de Don Aman ont trouvé un écho très favorable mais je ne sais pas pourquoi, Monsterlock n’a pas un impact identique. Une histoire de tension à qui il manque quelques degrés, une corde raide sur laquelle le groupe dijonnais a toujours évolué et qui semble tomber plus souvent du mauvais coté, des morceaux qui vous aiguillonnent moins le nerf émotionnel. Cela reste agréable, subtilement décalé et intimement personnel. De l’indie-pop noisy mélancolique où le dosage est primordial, l’art de la nuance une arme à double tranchant et cette fausse langueur un piège qu’il faut savoir éviter pour que cette lumière blafarde ne se transforme pas en sale dépression. Les morceaux sont beaux mais n’ont pas dans l’ensemble le mordant, la profondeur et l’allant nécessaires pour faire de Monsterlock un disque aussi prenant que ses prédécesseurs. Mais selon l’humeur dans laquelle vous vous trouvez à l’écoute de ce disque, Monsterlock peut le faire tout de même.
Le Crapaud Et La Morue / Que Faire ? / Araki records 2020 :
Que Faire ? Que faire de ce disque ? C’est une très bonne question. J’ai pensé la tordre et la jeter et puis elle a fini par atterrir dans un obscur alignement. Elle reste une ambiguïté à ce jour. Et c’est pas très clair. De la chanson française déphasée avec des textes marqués qui passent ou qui te les brisent, les charnières bien sûr puisque l’absurde frappe à ta porte. Avec du rock ou du moins une incarnation incertaine et très fluctuante capables d’éclats coupables et inversement. Qui se permet bien des choses pas permises par la législation. La macédoine n’est pas qu’une salade, c’est aussi un état d’esprit sur lequel Le Crapaud Et La Morue issu de la faune sarthoise gambade sans se soucier de la concordance des courants, oscillant au doigt mouillé sur l’échelle des températures entre la dérision, d’orageuses sinuosités, une hypnotique extravagance et un monde dans lequel Le Crapaud Et La Morue ne sont pas prêts de m’embarquer. A mon grand étonnement, cette grande flexibilité provoque des pathologies significatives, une consistance qui colle et sait se faire apprécier, à condition d’être d’une ossature passablement solide pour faire abstraction des paroles mais pas de la voix qui sait souvent se montrer pertinente (là aussi, il faut savoir distinguer l’homme de l’artiste) et vous concentrer sur l’orchestre qui sait taper juste dans l’art du bruit quand les démons du prog-rock ne les hante pas ou que ça part dans tous les sens et pas les bons. Que faire ? La question est dans la réponse.
Bavoir / self-titled CD / self-released 2020 :
Enablers, c’est plus ce que c’était. Caen, nouvelle place forte de la poésie-rock.
Toc / Indoor / Circum-Discs 2020 :
TOC pulse, triture, vitupère mais sans paroles, génère des bouquets d’électricité qui flashent dans la torpeur environnante, détord le jazz, se déjoue du rock mais bande les nerfs, plane en rasant la cime des consciences car il faut toujours rester aux aguets, fricote avec le krautrock pour mieux l’exploser car TOC préfère quand ça couine et que ça grince, est libre d’aller où bon lui semble et le trio se trompe rarement de chemin bien qu’il soit parfois ardu et pas à la portée du premier venu. TOC pour Jérémie Ternoy (claviers multiples), Ivann Cruz (guitares avec et sans électricité) et Peter Orins (batterie unique et généreuse). Il est régulièrement question de ce trio dans ces pages et Indoor est une nouvelle belle étape de leur riche discographie avec un sommet qui s’appelle Outdoor (soit neuf minutes de noise magnétique et orgiaque). Un disque qui se mérite mais c’est bon d’avoir du TOC chez soi.
Toc & Dave Rempis / Closed For Safety Reasons / Circum-Discs 2020 :
Le prolifique trio lillois Toc s’associe avec le saxophoniste américain Dave Rempis (et aussi Sakina Abdou sur un titre) pour un peu plus de cinquante minutes de free-jazz improvisé et turgescent condensé en quatre compositions qui laissent sur le carreau. C’est sans doute trop pour mes modestes capacités en la matière mais franchement, vous avez sur Closed For Safety Reasons, de quoi être parfois positivement estourbi. Heureusement, des accalmies et des pluies tombant sereinement avant le prochain déluge et montée des eaux permettent de rester sain d’esprit mais ce disque possède tout ce qu’il faut pour vous faire passer un sacré drôle de moment.
Tribalism3 / April on Mars / Coax records 2020 :
Tribalism parce que c’est tribal et 3 parce que c’est un trio. La vie est d’une simplicité parfois. Olivia Scemama (basse), Luca Ventimiglia (synthesizer, electronics) et Yann Joussein à la batterie et compositeur en chef parce que, au cas où vous ne l’auriez pas compris, Tribalism3 est une histoire de rythmes avant tout. Mais pas que. Si l’ossature rythmique est prépondérante et qu’elle vous entraîne irrémédiablement dans sa ronde cyclique inventive et infernale à la Golden Oriole, le propos n’est pas une démonstration vaine. Les ambiances sont tout aussi importantes à grands coups de nappes synthétiques lugubres, de triturations électroniques grinçantes, de gimmicks répétitifs pas toujours convaincants et des vrombissements d’une basse qui ferait le bonheur de nombreux groupes noise-rock. Cinq titres qui ont fière allure, bien plus en tout cas que leur précédent EP en 2019.
Wonderbach / Lumière, Eau et Minéraux / Coax records 2020 :
Olivia Scemama (contrebasse) et Yann Joussein (batterie) sont des habitués des productions du collectif parisien Coax. On les retrouve dans Wonderbach aux cotés de Marie Takahashi (violon alto) et Manuel Adnot (guitare). Un quartet d’improvisateurs donnant le tournis dans une veine free-jazz contemporain et alternatif, aussi expérimental que classique, notamment sur les vingt minutes de Magnolia. Ça peut faire peur dit comme ça, je me sens démuni face à une telle musique, une telle déferlante d’émotions très variées allant d’une beauté limpide et naturelle à des trépidations abstraites avec dix mille choses entre les deux, du fulgurant à du coriace. Alors le seul conseil que je peux me permettre, c’est d’aller écouter par vous-mêmes, vous trouverez bien votre bonheur.
Sébastien Brun / Ar Ker / Coax, Carton records 2020 :
Sébastien Brun, c’est un batteur qui démultiplie ses bras au sein de plusieurs formations dont l’écho a toujours été favorable (Irène, OK, Linnake) mais aussi Batlik, Issam Krimi Trio et bien d’autres encore sans doute. C’est la première fois qu’un disque apparaît sous son nom propre, tout seul sans personne. Forcément, de la batterie vous en avez et de l’electronics aussi, le tout sans overdubs, tout est joué live. Un mélange qui fait que Ar Ker ne sonne pas spécialement comme un disque de batteur. L’atmosphère y est travaillée avec l’apport de l’electro et différents éléments percussifs qui se télescopent mais elle est surtout froide à l’instar de Frozen, presque neuf minutes finales symbolisant la difficulté de rentrer dans cet univers dans lequel je reste définitivement à la porte.
Clément Edouard / Dix Ailes / Three:Four, Coax, Carton records 2020 :
Clément Edouard, c’est Polymorphie, Irène, Lunatic Toys, Loup et que sais-je encore et là c’est sous son nom que ce disque est publié alors que je pensais que le patronyme de ce projet était Dix Ailes. Un faux projet solo avec Clément Edouard aux commandes. Compositions, maniement d’electronics, mixage, production. Mais ce qui retient l’attention, ce sont les voix de Linda Olah et Isabel Sorling, traitées comme un instrument à part entière et qui sont au centre du projet (avec un peu de percussions et de harpe basse de Julien Chamla). Enfin, retenir l’attention est un bien grand mot et c’est là le problème. Ces vocalises presque irréelles et translucides avec un léger habillage sonore sont d’un minimalisme impénétrable qui font sonner ce disque comme un mirage sonore, le dernier son avant le silence complet. Un disque qui n’existe pas vraiment.
Demain Sans Faute / self-titled / Epicericords 2020 :
C’est pas tous les jours qu’on parle d’un groupe de Pont De Monvert Sud Mont Lozère. Qui pour le coup apparaît aussi exotique que si on causait d’un groupe birman. Il s’en passe des belles dans nos petits villages (Jean-Pierre Pernault aime ça). Et donc si j’ai bien suivi l’affaire et que je recoupe les infos, Demain Sans Faute, c’est le projet d’un seul bonhomme, le même qui fait aussi Chafouin et donc la moitié de Marylin-Rambo et qui gère Epicericords. C’est qu’il faut bien s’occuper dans les Cévennes. Un CD qui regroupe les trois premiers Eps de Demain Sans Faute, une musique instrumentale faite comme il dit lui-même de collages sonores, guitares, drones, batterie et synthétiseurs. C'est pas très fun mais ça me détend. En termes de décontraction, ce n’est pas forcément réciproque mais sur les onze titres, ya de l’idée comme dit l’autre. Et pas qu’un peu. Il fait effectivement sombre là-dedans, c’est plein de zones de mystère, une cadence assez lente mais pas relâchée, une construction étrange qui fait moins bidouille que cela en a l’air, une mécanique mi-grinçante mi-onirique qui sans vous transporter à des hauteurs vertigineuses provoque son petit effet. Le confinement n’est pas perdu pour tout le monde.
Ingrina / Siste Lys / A Tant Rêver Du Roi, Medication Time records 2020 :
Ingrina, un groupe français qui met les moyens pour impressionner. Trois guitares, deux batteries, un bassiste, du chant venant de plusieurs organes. Un déluge post-metal qui s’annonce rude. L’ensemble ne manque pas parfois de piment, du post-metal qui aime agresser et des cavalcades rythmiques pas négligeables. Mais là où je bloque littéralement, c’est dans le traitement sonore. L’impression qu’Ingrina joue dans un immense stade ou une église à ciel ouvert aux quatre vents, le sentiment d’être à une grande messe metal avec les grandes orgues de sortie, des chants comme des voix angéliques tombant des cieux (notamment sur Stolidity), un enregistrement comme baignant dans un écho lointain et constant, une reverb ouvrant le flanc à une grandiloquence, un maniérisme prenant le dessus sur toute sensation de beauté poignante, un sens du drame qui perd tout son sel et dessert les mélodies. Usant.
Raise / Crepa! / self-released 2020 :
Encore une histoire de post-metal machin chose instrumental qui vient de Vicence en Italie avec des grandes nappes de synthés comme un voile d’obscurantisme que des riffs téléphonés essayent de réduire en charpie. La seule chose que tu récoltes en plus d’une bonne crève à cause du gros courant d’air, c’est un billet sans retour sur l’A6 et la mort au bout d’une ligne droite infinie sur l’autoroute de l’ennui.
Grin / Translucent Blades / Crazysane records 2020 :
Heavy psych doom. Le problème, c’est d’avoir le cul entre ces trois chaises et ne jamais aller à fond dans un de ces genres pour tout exploser dans les grandes largeurs. Le résultat est finalement bien moins horrifique que prévu, c’est même assez charmant et inoffensif, ce qui ne doit pas être du tout l’effet recherché par ce duo allemand.
Quietus / Chaos Is Order Yet Undeciphered / Wooaaargh, Wrong Hole records 2020 :
Ce disque aurait mérité un autre sort que quelques lignes lapidaires et anonymes dans une page sans fin. Plus d’un an que le premier album de Quietus, groupe de Charleville Mézières est sorti. Une écoute trop rapide l’avait enfermé dans la catégorie elle aussi sans fin du metalcore chaotique et autres affinités avec le screamo hardcore. Lassitude. Alors que non seulement Quietus brasse plus large mais il le fait surtout de façon avisée en tirant plus d’une fois son épingle d’un jeu qui a pourtant vu défiler nombre de postulants, maniant les codes du genre sans se vautrer dedans, donnant une touche émotionnelle, de la profondeur, des nuances noise-rock, sans hurler dans le désert et surenchérir dans les plans complexes. Promis, la prochaine fois je ferais plus attention.
Northway / The Hovering / I Dischi Del Minollo 2020 :
Northway, c’est surtout le chemin du purgatoire, celui qui mène au post-rock instrumental qui à ce stade n’est plus devenu une impasse mais un sens strictement interdit. Dans ce domaine, les Italiens de Northway sont des champions. Si certaines formations arrivent encore plus ou moins à tirer leurs épingles du jeu, Northway se vautrent dans les clichés du style avec une rare délectation. Platement impressionnant.
Onoda / Land/Islands / Crane, Coypu records 2020 :
Onoda, groupe parisien, c’est un peu le cauchemar du chroniqueur. Le groupe qui ne vous inspire rien de particulier. Pas d’amour, pas de haine, pas de sentiment. Et puis Land/Islands a évolué gentiment, grandit lentement, à la même cadence que leur transe rythmique s’installait, que les douces volutes psychédéliques prenaient de l’épaisseur et que le froid apparent dévolait un filtre mélodique tranquillement séduisant. Et que le ton se faisait plus véhément, bruyant, répétitif à l’instar des dix minutes de Land ou sur Praypreypray. C’est parfois trop spatial, vaporeux, atmosphérique pour un décor qui prend son temps à se mettre en place mais ce disque a fini par émettre une petite vibration à laquelle je ne suis pas insensible.
Kaouenn / Mirages / Atypeek Music, Beautiful Losers, Bloody Sound Fucktory, Ph37 Soundlab records 2021 :
Kaouenn, c’est du breton, ça veut dire hibou. Merci de me l’apprendre (non, tous les Bretons ne parlent pas breton et ne portent pas un ciré jaune). Par contre, c’est un gars, Nicola Amici, né et qui a grandi en Italie et basé désormais à Nice qui se cache derrière ce pseudo. C’est annonciateur de voyage sonore dans ta tête et de rencontre des peuples, de quoi trembler d’effroi. World music mâtiné de psychédélisme bon teint et d’electronique d’ascenseur. Comment on dit affligeant en breton ?
QDRPD / Interiors / Santé records 2019 :
QDRPD a beau avoir enlevé les voyelles, on les a hélas reconnu. C’est Quadrupède, le groupe du Mans, qui avait publié l’impayable Togoban en 2014. Toutes ces années et ce silence brisés pour revenir et faire encore pire, c’est un sacerdoce auquel seul le duo semble y croire. C’est simple, à coté, La Jungle apparaît comme un groupe intelligent et talentueux, c’est dire l’exploit. Dommage que pendant leur enfance, personne ne leur a filé des cannes à pêche ou la passion des fléchettes pour les détourner de la musique, nos oreilles pourtant pas fragiles auraient grandement remercié ces bons samaritains.
Sairie / Scarlet And Blue / Mulso Primary records 2020 :
On l’aime beaucoup Jon Griffin. Que ce soit avec Twenty-One Crows, Planquez ou, si on remonte à la préhistoire, The Pushkins. Chacun de ces projets nous a accroché. Mais là, ce nouveau truc, Sairie, quand il la joue troubadour du Moyen Âge ou folk des campagnes avec Emma Morton au chant et un certain Andy Thomas, c’est pas possible, franchement pas possible.
Bilal / self-titled CDEP / Winslow, Araki, Atypeek, Decagon records 2020 :
Bilal, c’est le syndrome du math-rock instrumental léger et tropical. Un groupe de Lyon qui aime les équations sans prise de tête, les mélodies sautillantes et couper la bière avec de la grenadine. Bref, un math-rock vidé de son jus pour six titres totalement inoffensifs.
The Guru Guru / Point Fingers / Luik, Grabuge records 2020 :
C’est quoi l’arnaque ? On m’avait vendu ce groupe belge comme un groupe rock, abrasif et déjanté. C’est un second album avant tout lisse, propre et lourdingue sous une allure qui se voudrait imprévisible et bouillonnante. Des guitares qui ont un sale son de synthé, des mélodies téléphonées, des morceaux option j’en mets partout mais je vais nulle part, une énergie qui se mord la queue pour des morceaux tout simplement mauvais dans un écrin artificiel. Grosse déprime.
Bob Singer / Salvation / Fresh Outbreak, Crapoulet, APB, Wacky Cats, En soirée je danse pas records 2020 :
Bob Singer était le nom d’un personnage de la série Supernatural. En fait, c’est un hommage déguisé au groupe Amanda Woodward qui lui aussi tirait son nom d’une série télé. Il faut donc s’attendre à du screamo-hardcore-emo à la mode de feu le groupe de Caen. Et c’est effectivement dans cette tendance que Bob Singer évolue. Mais le plus surprenant, c’est que Bob Singer n’est pas un groupe. Ou alors un groupe à lui tout seul. C’est à dire un certain Olivier déjà entendu au sein de Mr Godson ou Murdhock qui, de son Limoges natal, montre ses talents de multi-instrumentiste. Et ça ne s’entend vraiment pas. Bluffant, contrairement à la musique sans surprise, un peu datée et parfaitement ancrée dans le rang dans lequel elle est attendue et où elle demeure plaisante mais c’est un autre débat et cette réalisation reste à saluer.
Sunflowers / Endless Voyage / Only Lovers, Stolen Body records 2020 :
Duo portugais garage-rock qui vouait un culte aux branquignoles de Thee Oh Sees, Sunflowers devient trio, s’affranchit de l’influence du maître et passe en mode psychédélisme krautrock de l’espace avec toujours des relents garage et un peu de riffs de guitare entre deux couches persistantes de claviers et autres bidouillages électroniques dans un album qui se veut conceptuel sci-fi. Et ça, Sunflowers ne sait pas faire. Ou comment être encore plus fumeux que le maître qui s’y connaît pourtant en embrouilles et patchouli du cosmos. Un album haché, pas mal de titres qui font office de remplissage et une maigre poignée de titres à sauver. Le voyage tourne court.
Le Grand Sbam / Furvent / Dur et Doux records 2020 :
Dur et Doux est un label lyonnais qui défend une vision singulière des musiques amplifiées. Singulier, le mot est faible. Leur catalogue regorge de groupes totalement azimutés et inclassables (Ni, Poil, Chromb! et bien d’autres). Il faut souvent être d’attaque ou dans des dispositions de total relâchement au niveau musculaire et cérébral, ce que je ne suis jamais. Alors quand débarque un groupe comme Le Grand Sblam, c’est un grosse montée de stress, une crise d’angoisse insurmontable, un coup à choper la coulrophobie. Si le courage ne vous manque pas...
Rien Faire / Rien Faire / Dur et Doux records 2020 :
On disait quoi à propos de Dur et Doux ? Singulier ? S’il vous reste des anxiolytiques, c’est le moment de les prendre. Vous pouvez même finir la plaquette. Rien Faire a quand même trouver le temps de faire un disque, son premier. La chanson française ne s’est jamais aussi bien portée. Et spéciale dédicace aux titres comme La Fleur Intestinale, Le Ciel Est Mou, La Viande De Ta Famille ou Être Vieux. Vincent Delerme, fait attention à toi.
Chromb! / Le Livre Des Merveilles / Dur et Doux records 2020 :
Autre entité insaisissable de Dur et Doux, les lyonnais Chromb! se font justement plus saisissables sur leur quatrième album Le Livre Des Merveilles. Ou plus précisément, se font plus sobres. Seulement quatre compositions et l’impression que ça ne part pas dans tous les sens pour revenir violemment dans la gueule en laissant hagard. J’ai beaucoup de mal avec le chant de moine bénédictin et c’est sans doute pour ça que le meilleur titre est le long instrumental Les Chevaliers Qui Apparaissent s’embarquant dans une longue montée sur les chemins d’un free-jazz-rock bruitiste assez plaisant. Mention spéciale aussi à La Souvenance d’Achille. Ça chante mais Chromb! n’avait jamais été aussi calme, mélancolique, sans mettre trente mille notes à la minute en faisant les guignols, une procession lente et sagement dramatique qui leur va bien. Respire.
Vacuum Tree Head / Rhizomique / Pest Colors Music 2019 :
Je me méfie toujours quand un envoi promo commence par ci-joint un disque qui je pense va beaucoup vous intéresser. Même quand c’est en anglais. En plus, dans le paquet en provenance de Californie, deux CDs se trouvaient. Le premier concerne Vacuum Tree Head et Rhizomique est leur dernier album à tout jamais si j’ai bien compris d’un collectif plus qu’un groupe dans lequel figure une des têtes pensantes, Jason Berry et dans lequel est passé notamment Moe Staiano des fabuleux Surplus 1980. Mais on nage ici en plein délire jazz avant-gardiste dadaïste et surtout inclassable. Si vous trouvez que ça fait aussi musique cinématographique, c’est normal puisque c’est la bande-son d’une comédie musicale de science-fiction. Ça donne envie hein dit comme ça ? Parfois, on est content que les salles de spectacles soient fermées.
Nubdug Ensemble / Volume One: The Machines Of Zeno / Pest Colors Music 2020 :
Le second CD dans le colis, c’est le nouveau projet de Jason Berry. Un ensemble avec notamment le batteur G. Calvin Weston (John Lurie and the Lounge Lizards, Ornette Coleman et pléthore d’autres collaborations), le bassiste Paul Hanson, Amy X Neuburg et plein d’autres personnes dont les CV te font sentir tout petit. Ce qui n’est strictement pas gage d’une musique renversante. Nubdug Ensemble creuse le sillon et la tombe de Vacuum Tree Head et s’il n’y a pas de bande-son à la clef, cela donne tout autant des envies de meurtres. Dans les pires souffrances. Ça va beaucoup vous intéresser qui disait.
Maudit Tangue / Indian Ocean Rock Compilation #5 / Maudit Tangue, Ravine Des Roques, Kabar Dock 2020 :
Vous attendiez toutes et tous des nouvelles de l’’île de La Réunion, contrée bien connue pour être la Mecque du rock’n’roll. Hélas, Pamplemousse reste toujours l’arbre qui ne cache aucune forêt. Maudit Tangue est le nom d’une compilation gavée de 29 groupes sur deux CDs qui fait la promo des groupes de ce coin du monde. Il avait déjà été question du volume 3. Le volume 5 ne signale toujours rien de palpitant sous les cocotiers, y compris sur le CD2 consacré à l’Afrique du Sud, Madagascar, l’Inde, la Malaisie et l’Australie, terre pourtant réputée mais qui ne fait ici aucune étincelle. Maudit Tangue va chercher très loin et très profondément des groupes très amateurs, voir totalement anachroniques qui ne sont pas prêts à une exposition aussi brutale. C’est louable mais laissez les tranquilles.
The Deniro’s / Surfin’ In Love / The DeNiro’s records 2020 :
Mais tout ce que vous venez de lire n’a plus aucune espèce d’importance car vous avez The Deniro’s qui surfent en amour et sur la tête de Robert «You talkin’ to me» De Niro. Du soleil, des plages, l’océan à perte de vue, pas d’emmerdes à l’horizon, l’illusion parfaite que tout baigne dans une abondance d’huile et que l’autruche est votre animal préféré. C’est tentant.


(Tête de Gondole 14/03/2021)