<04|09|2017> Le monde est cassette

Nous sommes en 1984. La vente de cassettes audio bat son plein. Les usines éprouvent les pires difficultés à fournir le marché. Ce n'est pas de la science-fiction. La dure réalité d'une journée où il faut écouler le stock. La cassette n'attend pas. C'est pire que des cafards.

Buddy records est un label parisien grand pourvoyeur de ce format. C'est pas cher, tout le RSA n'y passe pas et tu te fais des potes à l'autre bout du monde. Kitchen's Floor vient de Brisbane. Leur troisième album était bonnard. Buddy records le pense aussi. Tellement qu'ils sortent des travaux de jeunesse. 2010 Adelaide Sessions, cinq titres enregistrés, je vous le donne en mille, en 2010 à Adélaïde. Des versions démo dont trois titres (No Love, Insects et Needs) se retrouveront sur le deuxième album Look Forward To Nothing en 2011. Ce qui laisse deux inédits dont les fans les plus passionnés de Kitchen's Floor et de garage-rock lo-fi à souhait se délecteront.

Toujours en Australie, toujours chez Buddy, une cassette de Pappy dont le titre est Snack. J'ai cherché une blague à faire, j'ai pas trouvé. Sauf à dire que Mammy aurait été plus judicieux. Trois filles, un mec. Plus un autre invité au saxophone sur un morceau. Les tags sur leur bandcamp disent punk, fun, riot et Melbourne. C'est succinct mais ça résume parfaitement la situation. Avec l'accent sur fun. Et juste ce qu'il faut de rocailleux. Des anciens UV Race, Constant Mongrel et Taco Leg dedans qui feraient des reprises de Beat Happening. A déguster avec une paille.

Caraques reste toujours ce mystère bien gardé quelque part dans le sud de la France. Tant mieux diront les mauvaises langues. Mais c'est parce qu'ils sont nuls à la pétanque. Après la Pharmacie de Garde en 2014, Caraques revient avec Décharge Radio. Et rien ne bouge. Deux longues faces enregistrées dans la cave avec un micro qui pendouillait au milieu. L'improvisation en leitmotiv. Un semblant de structures. Du raffut à tous les étages. Prend ce qu'il te plaît là-dedans, à toi de choisir, Caraques ne le fera pas pour toi. Mais je manque de concentration. Et d'envie pour faire le tri dans cette décharge. Mais ya sûrement moyen de recycler quelques trucs.

Gareth JS Thomas, c'est l'Anglais hyperactif qui joue dans Silent Front (batterie), USA Nails (guitare) et Mayors Of Miyazaki (chant et guitare). Il fait également de la photo, comme celles qui ornent la jaquette de Wandsworth Sports, album solo publié fin 2016 sur Apheloin Editions (est paru aussi sous forme de CD-r). Un touche à tout seul aux commandes derrière ses ordinateurs. Accrochez vous aux paysages sonores. Il va être question de collages, de drones, de samples de films (Acid Dick) sur fond de bruitages inquiétants qui peuvent fritter les oreilles ou dessiner de plus paisibles atmosphères pour les tympans mais pas tellement moins anxiogènes. Ce n'est pas dénué d'une certaine beauté funeste mais personnellement, je vais retourner à ces autres projets.

Si on vous demande Ce Qui Nous Traverse, répondez Des Lignes. C'est du Canadien, ne chercher pas à comprendre. Ce Qui Nous Traverse, c'est le nom d'un duo de Montreal et Des Lignes, le nom de leur album publié par Cuchabata records en 2016. Un duo de guitares qui joue la carte du post-rock. Sur quatre très longs titres. Ça s'annonce ardu. Heureusement, chaque titre comporte un invité (batteur, violoniste, bassiste et pianiste) pour que la pilule passe plus facilement. Tout le monde ne s'appelle pas L'Effondras et ne construit pas de longues cavalcades instrumentales intenses mais Ce Qui Nous Traverse, dans le domaine de la contemplation et du voyage intérieur, arrive à capter l'attention et insuffler suffisamment de force pour ne pas s'endormir avant la fin. Quoique lutter contre les quinze minutes de En Retrait a été au-dessus de mes forces. A part ça, les fans du genre qui croient encore au post-rock vont adorer.

Et pour finir, vous avez les pros de la cassette, les rois de l'emballage pensé, réfléchi, chiadé de main de maître qui vous feraient presque aimer ça. Le label suisse Old Bicycle en fait partie. Il nous avait déjà gâté avec le split entre Sneers et Silent Carnaval. Dans la série de leur Tape Crash, vous avez aussi le volume 14 entre Edible Woman et Tante Anna, le volume 15 entre My Cat Is An Alien et Gelba et Futeisha avec l'album Alegrias Y Duelos De Mi Alma, tout ça publié courant 2016. Mais ne comptez pas sur moi pour en parler. Cliquez sur les liens si ça vous amuse d'écouter ça (en sachant qu'un bel emballage ne garantit pas un intérieur de qualité) parce que c'est bien connu, le meilleur endroit pour écouter des cassettes, c'est sur internet.

Tête de Gondole (04/09/2017)



<23|08|2017> Le math-rock pour les nuls

Le math-rock pour les nuls, c'est un math-rock vidé de son jus, un math-rock qui prend des synthés pour des guitares, un math-rock pour télétubbies qui sont trop contents d'être là et voudraient te faire danser en couleurs et sans alcool pour que la fête soit plus folle, un math-rock qui préfère compter sur ses doigts et a oublié le sens du mot rock. Et quand un vague truc se rapprochant du rock se pointe, c'est pour en faire des tonnes et la jouer solo de guitare à chialer en boucle comme un gyrophare dans une nuit sans fond. Un math-rock hélas à la mode et à plusieurs visages mais uni dans la crasse et la platitude.

The Bronzed Chorus, c'est le syndrome Battles. On dira jamais assez combien ce groupe boursouflé new-yorkais a fait du mal à la musique malgré un bon départ dans la vie. Toutes les décennies sont représentées dans Summering, album datant déjà de 2016 sur Double+Good records. Et le duo de Caroline du Nord n'en extrait pas le plus intéressant. La démonstration technique des années 70, l'affreux goût synthétique des années 80, le post-rock atmosphérique instrumental lénifiant (pléonasme) des années 90 et tout plein de bons sentiments quand le math-rock a voulu faire dans le happy-noise déluré dans les années 2000. Secouez tout ça mais pas trop fort s'il vous plaît, ça déborde déjà de partout d'un vomi multicolore sans odeur ne cachant pas la misère du propos.

Grauss Boutique n'est certainement pas du genre à sucer du bout des lèvres. Sur leur premier album self-titled (A Tant Rêver Du Roi, Chanmax, Wop Productions, Dirty 8 records 2017), le trio y va gaiement, avec l'enthousiasme d'un jeune puceau raide et chaud bouillant pour démonter le math-rock dans ces grandes largeurs. Ach, ces petites fräulein, on va les faire valser jusqu'à Berlin. Bon ok, Grauss Boutique vient de Tours. Ça fait déjà moins le malin. Math-rock lourd ne se posant pas 36000 questions, jouant débridé et généreusement. C'est chargé en testostérone et de beaucoup d'autres choses. Du gras, du solo qui fait peur, très peur, du bavardage inutile, de plans salement éculés, de la saine énergie qui fout les jetons tellement ils ont l'air heureux, d'un guitariste qui en remet une couche et puis deux puis trois il n'arrête plus ça frôle l'overdose couper lui les doigts débranchez ses pédales. Et tout ça avec le sourire et des accords qui n'auraient pas dû exister. Et des titres qui donnent envie (Déchire Ton Ciel, Humeur Toute Folle). Chaque titre est un long chemin de croix parsemé de clichés, de mauvais goût et d'une positive attitude bien dans l'air du temps. Grauss déprime.

Le math-rock des Lillois d'Ed Wood Jr. avait toujours eu la vue large et retenu l'attention. Même avec un Lost.Drive.Water.Exit sur lequel les guitares avaient quasi disparu. Alors je ne sais pas ce qu'il s'est passé avec leur nouvel album The Home Electrical (Black Basset, Tourne Disque, Araki records 2017) mais c'est très décevant. Le changement de batteur n'explique pas tout. Lors du concert du 23 avril dernier à Rennes au Jardin Moderne, la prestation d'Ed Wood Jr n'avait franchement pas été dingue et Jason Van Gulick, le nouvel occupant derrière la batterie qui présente pourtant un beau CV, n'y était pas étranger tant ça respirait la routine et le manque d'ardeur. C'est moins flagrant sur The Home Electrical mais pourtant, tout y est terne, les compos ne décollent pas, l'équation rock+machines ne fonctionne plus. Ed Wood Jr. a perdu de son allant, s'est assagit, a poli les angles, mis le pilotage automatique, refrène sa frénésie et sa noirceur voir tourne carrément à la dream pop quand le chant de Asako Fujimoto intervient. Bref, en un mot comme en mille, on se fait royalement chier.

Le meilleur est toujours pour la fin. Ça s'appelle La Jungle, ça ne vient pas de Calais mais juste de l'autre coté de la frontière, en Belgique, à Mons. II est leur deuxième album (Black Basset, Rockerill records 2017) et désormais, on sait ce que le lapin Duracell écoute comme musique pour tourner en rond comme un con avec toujours ce sourire satisfait sur la tronche. C'est le degré zéro de la musique, de la techno avec une guitare et une batterie qui jouent sur la répétitivité à outrance pour tenter de faire décoller le bouzin mais qui se révèle aussi efficace que de fixer du regard un chien hochant la tête sur la banquette arrière d'une voiture pour arriver à la transe. Autant danser en écoutant une machine à laver. Vide intersidéral, putassier à souhait, des samples/chants débiles et têtes à claque, un batteur qui n'a qu'un seul rythme déplorable et qui compte sur la vitesse et l'intensité d'un poulet d’élevage pour masquer son manque de créativité. Math-rock tout dans l’esbroufe et la facilité qui débarque cinq ans après la bataille, math-rock totalement désossé et creux, émotion néant. La Jungle, la merde.

Tête de Gondole (23/08/2017)