<05|09|2015> Qualité
divine
Le cerveau
gonflé d'un vide qu'une qualité divine, plongée
maussade et perfide sur une pile de disques où tout n'est pas
à jeter mais rien n'est à garder.
Ce qui n'est pas tout à fait vrai avec le disque tout en haut
de la pile, le CD de The
Von Corda appelé Carnation et qui fait dans le 3 en
1. Trois EPs enregistrés entre 2014 et 2015 de cinq titres chacun,
soit, amis du calcul mental, quinze titres regroupés pour les
besoins de la promo. Sans doute trop loin de ma zone de confort, Carnation
affiche pourtant une musique troublante, une série de titres
attachants, tour à tour intimistes, profondément mélancoliques,
intenses ou fragiles. Ça ne semble pas parti pour le faire et
vous vous surprenez à ne zapper aucun morceau. Se laisser bercer
et emporter par une musique relativement prenante dans son ensemble.
The Von Corda, duo toulousain avec Julien Cardaillac (chant, guitare)
et Claire Mallet (basse, choeurs, spoken word sur des textes d'une poésie
sombre et affûtée), prise à deux et serrage de gorge,
basse plus grave que l'air grisâtre qui l'entoure, dépouillement
et notes qui claquent ou qui roulent dans un équilibre piquant,
avec juste ce qu'il faut de déviances pour accrocher dans les
angles et ne pas rendre cette musique trop lisse. Tous les titres ne
font pas mouche mais plus d'une fois, c'est beau et ça fait frissonner
comme sur Aluminium
évoquant Dominique A ou A621 filant sur les grands chemins
de la simplicité poignante. A découvrir.
Dans
un tout autre registre, Looks, premier album de Prettiest
Eyes (Aagoo records
2015), groupe de Los Angeles, possède aussi des arguments favorables.
Sorte de blues-rock-garage mutant, dur sur l'homme ou vaporeux, tubuesque
comme un titre des Sonics remis au goût des canons de beauté
actuels ou barré dans les affres d'un psychédélisme
fumeux, Looks s'inscrit dans une lignée de groupes garage
s'abreuvant à différentes sources, fracassant son farfisa
dans des élans punks. Avec une touche Suicide sur le dernier
titre se nommant Sorry. Ya pas à être désolé
pourtant même si leur musique ne me parle pas plus que ça.
Sur
le nouveau label bordelais Big
Tomato records, on aime aussi tout ce qui puise ses origines dans
les sixties, le garage, le crade, le psychédélisme, la
surf music pour mieux les pervertir avec le punk et autre brouet d'influences
plus sombres. Dans le sillage de Thee Oh Sees, Wild
Wild Wets débarque de San Diego avec son premier album 14th
Floor. C'est un étage de plus que le 13th Floor (Elevator)
mais c'est pas pour ça que c'est encore plus dingue, incroyable
et drogué. C'est même assez sage, posé, mélodique
avec des morceaux qui ne dépareilleraient pas sur des albums
des Movie Star Junkies (So High, Crawl), Wild Wild Wets privilégiant
le coté planant à la folie ambiante des Italiens. Plaisant.
Toujours
sur Big Tomato, le duo américain Slippertails
sort son premier album, le mal nommé There's A Disturbing
Trend car rien de vraiment dérangeant là-dedans mais
rien de déplaisant non plus. Les influences semblent taper large.
Au final, c'est Sebadoh qui revient le plus souvent. Un Sebadoh en plus
lourd et dense avec un chant traînant, très traînant
du guitariste Nick Casertano. Slippertails a même réussi
à me faire penser à Pedro The Lion dans la version redneck
avec un poil de blues déglingué, de la pop déviante,
crade et languissante. De là à s'enflammer comme leur
label pour dire que ce sera un disque culte, mythique et que l'idée
du contraire ne les effleure même pas, il y a un précipice
énorme que je ne franchirais jamais. Par contre, ils ont une
merveilleuse vidéo qui est euh... comment dire... hypnotisante.
Le
label français Lost
Pilgrims nous avait offert un somptueux album dégueulasse,
celui de Nightslug.
Avec l'aide de deux autres labels finlandais (Rämekuukkeli,
Mikrofoni), il ramène
aussi dans ses filets Boar
(finlandais aussi) et leur album Veneficae. Si le premier morceau
peut donner l'illusion d'avoir pêché un gros poisson superbement
lourdingue dans la lignée de leurs compatriotes d'Hebosagil,
le chant vomissant et les cinq morceaux suivants nous ramènent
à une dure réalité ou le stoner et les effluves
persistantes d'un gros hard-rock seventies qui ne veut pas dire son
nom n'ont pas encore été éradiquées de la
planète. Enfer et damnation.
C'est
un Act ressurgi du passé
qui déboule avec son troisième album, onze années
après un Act
II taille XL, XL n'étant que le nom de l'album
et non relatif à la grande qualité du disque. Mais c'était
toujours mieux que ce Lilurarik Ez. J'ai même eu du mal
à croire que l'Act de 2004 était aussi l'Act de 2015.
Mais oui, c'est le même homme derrière ce projet, Kristian
Aduriz. Il s'est entouré de multiples musiciens dont Arnaud Fournier
(Hint, La Phaze) mais le goût synthétique est très
prononcé, plus que jamais, et la musique a dérivé
du champ ambiant/industriel vers des contrées trip-hop, voir
quasi new-age-futuriste au plus creux de l'affaire, une musique de laboratoire.
A part deux ou trois morceaux, ceux avec Fournier justement et aussi
MZ Sunday et son chant maléfique et inquiétant mettant
un peu de relief, ces plus de 70 minutes sont un long voyage douloureux
que j'ai écouté une fois en entier sans zapper. Mais on
ne m'y reprendra plus.
Hiroshima
Mon Amour n'avait sans doute pas lu la chronique
de leur split album avec Slogan en 2011. En quatre années, ça
ne s'est pas arrangé. Leur premier album en 10 ans d'existence
se nomme L'Homme Intérieur et dans le digipack, une citation
de Hannah Arendt : Les hommes normaux ne savent pas que tout est
possible. Même le pire. Samples ampoulés et pathétiques
parfois remplacés par un vrai chant et textes qui ne relèvent
pas le niveau, musique insipide et sans idée derrière,
post-rock mou du caisson et précieux virant parfois à
l'electro. L'Homme Intérieur n'est pas beau à entendre.
Après
ça, un bon coup dans les bronches ne peut pas faire de mal. Les
Suisses de The
Sunwashed Avenues se chargent de secouer le cocotier d'un hardcore
multiforme. Lama King est le nom de leur second album auto-réalisé
et il vous crache à la gueule tout ce que les tendances du hardcore
ont pu réunir ces dernières années. De Dillinger
Escape Plan à Alice In Chains ou Tools, du screamo au plan hyper
mélodique du chant avec choeurs tombant comme un cheveu sur une
soupe indigeste, du progressif à l'épileptique, de l'épique
au brutal, cet album est pire qu'un catalogue de La Redoute. Avec des
pages tournées et retournées dans tous les sens, maintes
et maintes fois.
Parlons
amour. The
Gitarren Der Liebe (c'est le groupe), Nietzsche in Love (c'est
l'album) et derrière tout ça, un nom connu de nos services,
Robert Lepenik, ex-Fetish 69, dont le projet solo débordait déjà
de sentiments enflammés. Mais de guitare mon amour, pas dominante
elle est. Je serais d'ailleurs bien en peine de vous dire ce qui domine
sur ce disque réalisé par Pumpkin
records. Un album fourre-tout, Irina Karamarkovic (la chérie
de Lepenik à la ville) au chant, climats très variés
mais aucun sur lequel j'accroche, tour à tour loufoque, rock
ou pop bizarroïde, c'est l'amour qui s'abreuve à de multiples
sources pour finir dans une orgie sans passion. Pour le grand amour,
on repassera.
Le
trio parisien Hush
Frequency débute dans la vie avec un EP 3 titres. Et c'est
un départ intéressant. Pas d'emballement excessif mais
leur instrumental teinté de math-rock et de post-rock pas flemmard
présente de belles germes. C'est fait avec une certaine élégance
et suffisamment d'attaques de cordes ou de rythmes cogneurs (très
bon son de batterie au demeurant) pour que ces trois titres déliés
et contrastés donnent envie de savoir ce que feront leurs petits
frères.
Le
contenu est à la hauteur de la gueule de la pochette. Phantom
Winter est un groupe allemand se définissant lui même
comme faisant du Winter Doom. Et c'est vrai que les cinq titres
de leur album CVLT (Golden
Antena records 2015) congèleraient tous les espoirs d'un
monde meilleur. Le doom n'a jamais été une musique de
fête foraine mais là, c'est la grosse dépression
qui guette, plus épais qu'un brouillard industriel sur Sheffield.
Une violence empruntée au hardcore en sous-main, une lourdeur
métalleuse, une saleté qui accroche le fond de culotte
dans des grésillements tenaces avec ce soupçon de mélodies
ayant bien du mal à éclairer quelque chose. En tout cas,
ça n'éclaire pas ma lanterne avec une endurance face à
ce genre musical rapidement friable. Quant aux amateurs du style, ils
apprécieront ou iront se faire voir en enfer qui leur est largement
promis de toute façon.
C'est
pas qu'il est mauvais cet album du trio italien Stearica
mais c'est l'indifférence qui pointe son vilain museau. Fertile
est le nom de leur deuxième album (sur Monotreme
records) et à part de stoïcisme, Fertile ne m'abreuve
de pas grand chose. Une basse en avant, tour à tour ronde ou
cogneuse tout comme les rythmes sachant taper fort comme il faut, des
structures qui ne se laissent pas aller à la facilité,
l'instrumental entre math-rock et post-rock sait se faire séduisant.
En plus, Stearica a signé du beau linge comme invités
avec les chants de Scott McCLoud (Girls Against Boys) et Ryan Patterson
(Coliseum) ou le saxophone fou de Colin Stetson. Mais flotte dans l'air
comme un fort patchouli electro, un truc bien dans l'air du temps à
la Electric Electric ou Ed Wood Jr mais en moins pertinent pour des
titres semblant trop bien connaître la recette sans la pointe
de piment et le surplus de cur n'engageant qu'une écoute
polie.
L'electro,
Yobkiss
ne fait pas mine. C'est même le cur, le sang, les pieds
et les odeurs. Avec les termes dance, transe, disco qui vont avec. The
Light est le nom de cet EP trois titres par ce duo moitié
japonais(e) (le chant), moitié hollandais (les machines) sur
Grond
records et je me demande pourquoi on reçoit ça ici pare
que c'est pas marquer Tsugi sur la porte, bordel de merde !
Idem pour le duo Audiofilm
et leur EP Analog dont le plan com' (soutenu par tous les Conseils
Généraux et généreux de Normandie) doit
consister à arroser le plus large possible dans le secret espoir
qu'un pigeon finira par crier au génie. Désolé,
l'electro aérien virant à la pop variétoche, ça
donne juste envie d'envahir la Normandie, basse et haute, et d'y foutre
le feu une bonne fois pour toutes.
The
Texas Chainsaw Dust Lovers, ça sent les grands espaces et
l'Amérique, la poussière et les coyotes mais ce sont des
rednecks de Paris. The Wolf Is Rising (Besta records) est leur
second EP (5 titres), les deux pieds dans le stoner et le southern rock,
la terre et la caillasse, de quoi voyager sans lever son cul du canapé.
Je me contenterais de reprendre une bière.
C'est
bien quand les groupes sont lucides et prennent les devants. Oui les
gars, vous êtes maso et oui, vous allez finir dans l'humeur massacrante.
Dragsterwave
vient de Le Havre, une ville qu'on peut pas dire qu'elle s'y connaît
pas en matière de rock'n'roll. Sur leur 1er EP appelé
Pay Back, je ne pourrais vous dire s'ils remboursent leurs dettes
aux anciens mais ya du canal historique là-dedans avec du Queens
Of The Stone Age pour faire récent. Voilà, c'est pas mal
comme ça, non ? Maintenant, c'est pas sûr que ça
vous fasse avancer...
Quand
vous avez des types qui balancent sur leur CV des mots comme sound designer,
compositeur de musique electro-acoustique, mention honorable à
une quelconque compétition internationale de bruits et pets divers,
des masters de free improvisation et je sais plus quel degré
d'études en philosophie, des trucs de sculptures sonores et d'exploration
du son entre deux créations pour des expositions, c'est que c'est
mal barré. En même temps, si je n'avais pas su ça,
cela n'aurait rien changé. Le trio s'appelle Niton,
c'est italien et leur album Tiresias est sorti sur Pulver
& Asche. De la musique pour ingénieurs et testeurs de
matériel hi-fi, du son dépassant mes modestes dispositions
de terrien terre à terre.
La
pochette (somptueuse au demeurant et uvre de Jacques Deal) résume
très bien la musique de Ni.
Ça foisonne de partout, tu ne comprends pas grand chose, un monde
parallèle fait d'hallucinations où ce que tu entends n'est
pas ce que tu crois. Les Insurgés de Romilly (Dur
et Doux/Atypeek
Music 2015) est un premier album dépassant les étiquettes
(math-rock, free-jazz, prog-rock). C'est un ouragan de rythmes et de
notes qu'ils ont su circonscrire à 40 minutes mais l'overdose
n'est quand même pas loin. Un disque de virtuoses sachant procurer
du plaisir et de bons courants d'air vicieux mais si je n'ai
jamais donné ma part au chien en matière de math-rock
et autres musiques alambiquées - Les Insurgés de Romilly
manque d'une émotion qu'un groupe comme Ahleuchatistas a toujours
su faire passer derrière la technique, comme une sauvagerie/délire
trop calculée, une succession de plans tous plus diaboliques
les uns que les autres mais qui me laissent froid au final. Dommage.
Le
souvenir de Zhol,
c'était une odeur persistante de Zheul/prog-rock repoussant (pléonasme)
avec leur deuxième EP précédent.
Le groupe parisien revient trois ans plus tard avec un nouvel EP 4 titres
et là, miracle, les mauvaises odeurs ont disparu. Zhol évolue
dans une sphère jazz instrumental toujours mais en appuyant le
coté rock comme on peut en trouver chez Kouma.
Zhol n'en possède pas encore la sauvagerie et l'allant mais le
propos s'est durci et resserré tout en saupoudrant de coulées
onctueuses de cuivre et d'une guitare aiguisée serpentant dans
les méandres de mélodies futées comme sur OK
Chorale. Zhol sur la très bonne voie.
Paru
en fin d'année dernière, Semantics (sur Honest
House records), deuxième album des Belges de Frank
Shinobi, traînait nonchalamment dans la pile. A chaque fois,
l'écoute était ma foi agréable mais c'était
systématiquement oublié dès la dernière
note achevée. C'est le problème de ce disque. Mignon tout
plein à naviguer entre At The Drive In, 31 Knots et des truc
comme Q And Not U ou Valina, sain comme un plat de tofu, un savoir-faire
indéniable mais des titres qui ne donnent qu'une illusion passagère,
trop de chants mélodiques qui se répondent, manquant au
final de consistance pour procurer autre chose qu'un aimable intérêt.
Mulan
Serrico n'a peur de rien, Mulan Serrico se sent invincible entre
ses montagnes à Grenoble, Mulan Serrico persiste à envoyer
ses disques. Et à les faire surtout. Son nouvel album s'appelle
Transi (Stochastic records). J'espère que tu vas détester
ce disque. Hé bien non, toujours pas.
Comme pour le précédent disque, il a quelque chose de
touchant, de totalement décalé par rapport à tout
ce qui peut s'entendre. Ça n'empêche pas que les meilleures
blagues sont les plus courtes.
On
reçoit tellement des trucs de dingue parfois que c'est à
se demander par quel cheminement des objets comme celui-ci - et que
je ne souhaite même pas à mon pire ennemi - peuvent échouer
ici. Ça fait peur. Je m'interroge. L'album 1997 du haut-savoyard
Docteur
Sadd, c'est un mélange de Vincent Delerm et François
Pignon. Et encore, cette comparaison est dure pour Delerm avec la pire
façon de chanter qu'on ait jamais entendu de ce coté ci
des Alpes. Et de l'autre aussi, sûrement.
L'album
Slaasssch du duo stéphanois Schlaasss
(sur Atypeek records)
est livré dans un emballage de sac à poulet. Et il aurait
été franchement préférable de trouver à
l'intérieur un vrai poulet plutôt qu'un CD. Rap-electro-punk
avec l'esprit alterno franchouillard des années 80. Sidérant.
Il faut absolument que vous écoutiez ça. Pour ceux qui
aiment les pizzas, la version vinyle est livrée dans une boite
à pizza.
Tête de Gondole (05/09/2015)